A l’heure du coronavirus, quand le prix du pétrole continue sa course vers l’effondrement, quand quatre membres de la dynastie royale saoudienne viennent d’être arrêtés, quand les projecteurs internationaux sont braqués sur le prince héritier Mohammed Ben Salmane, responsable des bombardements au Yémen, de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018, et d’une série de lois contraires aux droits humains, il devient de plus en plus urgent pour le royaume saoudien d’investir dans du long term ; et ainsi, de se racheter une image. C’est le sens de sa récente conversion à la culture dont nous traiterons ici (qui s’accompagne par ailleurs d’un investissement dans le sport), comme une nouvelle manifestation du pouvoir saoudien. Non plus le hard power pétrolier, mais le soft power artistique.
"L’objectif d’ici à 2030 ? Ouvrir jusqu’à 241 musées publics et privés, augmenter le nombre de sites archéologiques visitables de 75 à 155, disposer de plus de 1 900 salles de cinéma." (Le Monde) Réjouissons-nous .
Revenons sur les tâches. Depuis août 2019, les femmes sont "désormais autorisées à se rendre à l’étranger sans requérir au préalable l’agrément du référent masculin qui leur tient de gardien. "(voir Le Monde). Entendez d'un homme, père, mari, frère. Depuis juin 2018, elles peuvent même conduire ! Mais dans le même temps, onze féministes ont été arrêtées pendant l'été 2018 dans des conditions d'une sauvagerie inestimée, dont Loujain al-Hathloul, Nassima al-Sadah et Samar Badawi (activistes de renom pour le droit des femmes et les droits sociaux). Certaines militantes risquent régulièrement la peine de mort - Israa al-Ghomgham pour ne citer qu'elle. Quelques mois plus tard, Jamal Khashoggi, journaliste opposant au régime et à l'intervention au Yémen, est assassiné en Turquie. Début mars de cette année, des princes ont été arrêtés pour complot - il est encore question d'une critique de la politique saoudienne au Yémen. Pendant ce temps-là, Mohammed Ben Salmane se met à la philanthropie (avec sa fondation Misk, proche, malgré les critiques, de l'UNESCO).
Guère meilleur bilan pour son voisin, les Émirats Arabes Unis, au sujet desquels Amnesty International rappelait début mars qu'ils détenaient encore illégalement le militant Ahmed Mansoor, privaient de sa liberté la fille de l'émir de Dubaï et étaient les auteurs, comment ne pas, d'exactions au Yémen. Là aussi, sur fond de travail de sape des droits humains fleurissent de splendides musées : Louvre, Guggenheim, et même, il faut le voir pour le croire, le Women's museum d'Abu Dhabi.
Le terme - soft power - désigne une stratégie de pouvoir sans moyens coercitifs. Il est, pour un pays, une façon d’acquérir plus de légitimité sur la scène internationale autant qu’un facteur de puissance. On pourrait penser que le hard power, la force autrement dit, est un moyen plus efficace. Ce n’est pas vrai. Le choix du soft power est stratégique bien plus qu’éthique. Quiconque a lu Tocqueville sait que la démocratie américaine, par la force de l’adhésion, est la meilleure des dictatures.
“ L’anglais, qui confond les trois termes (mou, doux, flou), oppose différentes sortes de soft law (le flou, le mou, le doux) au hard law (le précis, l’obligatoire et le sanctionné). Apparemment moins contraignante, la soft law est parfois plus efficace, et finalement plus répressive, que la hard law. ”
Mireille Delmas Marty
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