“ [...] les contrôles sont une modulation, comme un moulage auto-déformant qui changerait continûment, d’un instant à l’autre, ou comme un tamis dont les mailles changeraient d’un point à un autre. ”
Gilles Deleuze — Post-scriptum sur les sociétés de contrôle
1984, Le Meilleur des mondes, La Zone du Dehors, Les Furtifs, Hunger Games, Divergente... Ces sociétés sont plus ou moins créatives mais suivent presque toutes le même modèle : un imposant pouvoir, grossier dans sa forme, visible à des kilomètres qui martyrise un gentil petit peuple. Ensuite, le héros surgit du peuple opprimé et renverse le pouvoir central dans un combat intense et violent, libérant le peuple de son oppression et renversant l’ordre dominants/dominés, contrôleurs/contrôlés. Mais comment croire à la réalisation d’un tel modèle ?
Dès lors, étudiée selon ce prisme-là, la société de contrôle ne devient plus aussi aberrante et l’on peut voir le chemin se tracer dans une multitude de décisions locales et particulières qui ne contiennent pas, en elles-mêmes, la volonté exprimée du contrôle de la société. Commençons par un exemple simple. Il y a quelques semaines, Europe 1 relatait dans un article l’initiative de restaurateurs face à un phénomène devenu malheureusement trop courant : le no-show. Entendez par-là un client qui ne vient pas à la table qu’il a pourtant réservée. Ce phénomène est une plaie pour les restaurateurs qui voient, chaque soir, une partie de leur chiffre d’affaire s’envoler. Ils ont ainsi une réaction logique face à ce phénomène : celui de trouver une solution — triviale. Un patron de restaurant raconte alors qu’il a mis au point un système de réservation avec empreinte de carte bancaire destiné à pouvoir débiter le prix d’un menu par personne ne se montrant pas. Résultats immédiats. Mais pour un même problème, on peut avoir plusieurs solutions. Ainsi, Xavier Zeitoun, par ailleurs fondateur d’un logiciel de réservation en ligne, a, quant à lui, offert une solution davantage “ dans l’ère du temps ” aux restaurateurs en créant un algorithme destiné à détecter les clients habitués au fameux no-show (antécédents de no-show ou multiples réservations le même jour). Là aussi, la solution est efficace. Néanmoins, force est de constater que cette solution participe à un contrôle des clients : en donnant une note algorithmique aux clients et en “ traquant ” leurs réservations et leur historique, cette solution participe à son échelle à la société de contrôle qui avance inexorablement et étend sa toile.
On voit donc bien comment, à partir d’une solution à un problème dont la volonté de résolution est par- faitement légitime, le client/citoyen est contrôlé, ses actions surveillées et notées. La révolution technologique actuelle est pleine de ces solutions locales à des problèmes locaux mais qui, mises toutes bout-à-bout, engendre une société qui nous achemine vers un contrôle toujours plus grand.
Il en va de même pour les assistants vocaux. Google Home, Alexa, Siri nous écoutent, les révélations successives dans les médias laissent peu de place au doute. Néanmoins, l’essence de ces assistants est- elle de nous espionner ? L’explication est sans doute moins romantique. Ces assistants fonctionnent grâce à des programmes d’intelligence artificielle. Or, les constructeurs de ces assistants : Google, Amazon et consorts doivent pouvoir améliorer leur produit sans cesse, qui plus est dans un environnement d’intense concurrence. Dès lors, afin de l’améliorer, ils ont naturellement besoin de savoir comment l’IA se comporte dans ses “ discussions ” avec des humains, et ainsi cela impose d’enregistrer certaines conversations de tout un chacun.
“ I want you to imagine walking into a room, a control room with a bunch of people, a hundred people, hunched over a desk with little dials, and that control room will shape the thoughts and feelings of a billion people. This might sound like science fiction, but this actually exists right now, today. I know because I used to be in one of those control rooms. ”
Tristan Harris — How a Handful of Tech Companies Control Billions of Minds Every Day
“ Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. ”
Etienne de la Boétie — Discours de la servitude volontaire
À la différence du serveur qui a objectivement le choix d’être sympathique ou non, sans que cela n’ait d’impact sur son travail — dans certaines limites bien sûr — le chauffeur Uber n’a pas le choix, au risque de se voir empêcher de travailler 80 heures de courses par semaine. On est donc face à une multitude d’acteurs indépendants qui effectuent plein de microcontrôles. Derrière cette nouvelle économie du XXIe siècle, les règles changent : des plateformes sanctionnent par un algorithme fondé sur des notes et ont donc un impact certain sur de nombreuses personnes. C’est un contrôle impersonnel et algorithmique de la part de plateformes omnipotentes mais pourtant pas omniscientes (méconnaissance du contexte, importance trop forte donnée à l’avis du client qui peut être en tord...).
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« Nous sommes ce soir la troisième force politique en France (...) les français veulent que l’écologie aussi soit au coeur du jeu politique. », affirmait, le sourire aux lèvres, Yannick Jadot au QG d’Europe Écologie - Les Verts (EELV), le soir des résultats des élections européennes. Passé l’enthousiasme du résultat des « Verts » aux élections européennes de mai dernier, une question peut être posée : n’est-ce pas contre le « jeu politique », justement que les français ont voté en poursuivant le travail de sape des partis traditionnels et en permettant l’émergence d’un parti comme le sien ?
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