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Séparer le maire du mari ? 

Par Margaux Cassan - 30 décembre 2019
Illustration de Hortense Le Guillou

 A chaque année ses événements, les jeux olympiques, la coupe du monde, les présidentielles, et cette année : les élections municipales de mars, idéalement prévues en même temps que les giboulées. A Paris, la focale obsessionnelle sur le casse-pipe politicien entre Cédric Villani et Benjamin Griveaux, tous deux produits d'En Marche ne devrait pas faire oublier les quelques 36000 autres maires de France. Aujourd'hui, laissons la vedette aux municipales de Cabourg, charmante commune de Normandie où Marcel Proust passait ses vacances. 

“ Ayant appris qu'il y avait, à Cabourg, un hôtel, le plus confortable de toute la côte, j'y suis allé. Depuis que je suis ici, je peux me lever et sortir tous les jours, ce qui ne m'était pas arrivé depuis six ans.  ”

Proust à Mme de Caraman-Chimay durant l'été 1907


 A chaque saison son lot d'indignations convenues et de polémiques. Après les révélations d'Adèle Haenel sur Médiapart (l'actrice accuse le réalisateur Christophe Ruggia d'attouchements et de harcèlement sexuel perpétrés entre ses 12 et 15 ans) et la nouvelle affaire Polanski (accusé de viol et violences par la photographe Valentine Monnier en 1975 alors qu'elle était âgée de 18 ans), la question du mois de novembre était toute trouvée : faut-il médiatiser la Justice ? Existe-t-il une justice médiatique ? Si oui, est-elle plus populiste que la justice des tribunaux ? Lorsque l'on subit une injustice, pourquoi beaucoup préfèrent en informer la presse que porter plainte ? Quelle justice, ou plutôt quelle reconnaissance les médias offrent-ils que les magistrats ne donnent pas ?

 Mais pour l'heure, revenons à Cabourg. Les citoyens consciencieux se préparent déjà à l'élection de leur futur maire. S'ils tapent sur internet le nom du maire actuel, Tristan Duval, ils découvrent, dans les articles du mois, deux titres : 

1. Un ticket Tristan Duval/Emmanuel Porcq pour les élections municipales à Cabourg, Actu Normandie
2. Cabourg. Tristan Duval candidat à un demi-mandat, Ouest France

En deux articles, une seule information : Tristan Duval est à nouveau candidat aux municipales de Cabourg. A toutes fins utiles, rappelons peut-être qui est Tristan Duval. Tristan Duval a une tête de premier de la classe, brun, sourire Colgate, cheveux ébouriffés avec soin, le teint bruni par le soleil ou les UV. Il est maire de Cabourg depuis mai 2015, maire sans étiquettes (mais divers droite) proche de Macron. Né le 2 juin 1975 à Neuilly Sur Seine, il est chef d'entreprise (comme son frère Gaël Duval) et fondateur de l'organisation "Opéra en plein air". Le 27 août 2016, il a épousé en secondes noces Solène Mauget, membre du média Club et responsable du programme à l'unité "Magazine Culturel" sur France 2. Ensemble, ils ont une fille, Athénaïs, 2 ans. Il a le soutien de Michel Legendre, son ancien adversaire. Les habitants de Cabourg qui se reconnaissent dans la droite modérée proche de Macron, ceux, plus généralement, qui ont apprécié le mandat de "Vivre Cabourg ensemble", ont leur candidat.

 A moins de regarder un peu plus en détails. L'histoire commence en septembre 2018, quand Solène Mauget, sa femme, porte plainte pour violences conjugales aggravées. En août 2018, une dispute du couple a dégénéré. Plaie à l'arcade, hématome à la pommette, coups au niveau de l'omoplate, côte fracturée et incapacité totale de travail de 14 jours, contusions multiples, visage tuméfié, on ne parle pas d'une gifle ou d'une bousculade. Tristan Duval est condamné à trois mois de prison avec sursis deux mois plus tard. Il doit également payer 2500 euros à la victime pour le préjudice moral. Avec sursis, entendez que Tristan Duval n'ira jamais en prison. Petit tour d'horizon, tous les pays ne sont pas si laxistes en matière de violences conjugales. A noter que si Monsieur Tristan Duval souhaite faire du surf sur les plages Australiennes ou visiter Sidney, ce n'est plus possible. L'Australie n'octroie aucun visa aux auteurs de violences conjugales, et extrade les étrangers qui en sont accusés. Sans aller jusque-là, on aurait pu au moins espérer de la France que cette accusation (reconnue) empêche Tristan Duval de se présenter à nouveau au poste de maire.

Mais malgré la pétition de 81400 signataires réclamant sa démission, Tristan Duval est encore maire de Cabourg et le sera peut-être pour encore quelques années. Sa condamnation n'a pas été associée à une peine d'inégibilité, ce qui explique que Tristan Duval soit candidat en mars 2020, comme l'indiquent les deux titres reportés ci-dessus. On regrette que les journalistes n'évoquent pas dans l'article les condamnations dont il fait l'objet... Mais plus responsables encore que les médias, à qui il faut tout de même reconnaître quelques piges sur le sujet en octobre, sont les tribunaux.  

“ En revanche, pas de peine d'inéligibilité à l'encontre de ce dernier, le tribunal considérant que l'infraction n'a aucun lien avec son statut d'élu. Cela n’a rien à voir avec sa fonction de maire ? Ne viole-t-il pas les lois de la République en commettant un délit de violences volontaires ?  ”

Extrait de la pétition lancée par Justine Cassar


Le dossier Duval ne s'est en effet pas arrêté là. C'est récemment que d'injustice, l'affaire a pris l'aspect d'une farce. En novembre 2019, Tristan Duval a porté plainte à son tour contre son épouse pour dénonciation calomnieuse (plainte classée sans suite...) et pour violence conjugale ! Oui, il s'est souvenu, plus d'un an après les faits, avoir reçu une morsure de sa femme lors de leur dispute. Tenez-vous bien, sa femme a été condamnée à 1500 euros d'amende pour violences conjugales pour avoir mordu Tristan Duval en se défendant des coups qu'elle avait reçus, et qui lui ont valu, faut-il le rappeler : plaie à l'arcade, hématome à la pommette, coups au niveau de l'omoplate, une côte fracturée, incapacité totale de travail de 14 jours, contusions multiples, et visage tuméfié. A noter que comme toujours, cette dispute a suivi une série de violences physiques moins "visibles" pour lesquelles Solène Mauget n'a pas porté plainte.

Le maire de Cabourg vise sa réélection pour les municipales de 2020. Sa femme, victime de violences a été condamnée à 1500 euros d'amende, lui n'ira pas en prison, et on compte sur les doigts d'une main amputée le nombre d'articles qui parlent de son accusation. Faut-il séparer le maire du mari ? Ceci n'est pas un calembour.  

Revenons au sujet de la saison. Les pourfendeurs du mouvement #MeToo - les plus raisonnés d'entre eux - expliquent volontiers que la dénonciation des crimes, des violences sexuelles en l'occurrence, à des journalistes plutôt qu'à des juges est une tentation populiste, une forme dissimulée de calomnie. Un bien grand mot pour désigner une réalité, la fin de la présomption d'innocence. Leur idée est simple : la lutte pour le droit des femmes doit se déployer dans le respect de l'État de droit, aussi légitime soit-elle. (cf. Olivia Dufour, juriste, journaliste, autrice de Justice et médias. La tentation du populisme).  

“ Il s’agit de résister aux procès populaires expéditifs (sous prétexte de faire avancer le droit des femmes) et maintenir, là aussi, les principes de la Justice et l’État de droit. ”

Olivia Dufour pour Marianne en novembre 2019


Cet argument se comprend, mais il n'explique pas pourquoi les femmes préfèrent les médias que les tribunaux. Rappelons qu'avant le mouvement #MeToo, c'est moins de 10% d'entre elles qui portaient plainte ; c'est donc, au mieux, 90% des coupables qui n'étaient jamais jugés, ni par la tribune ni par les tribunaux. Est-ce que par anarchisme, par antiétatisme primaire ou par impatience que les femmes ne font pas appel à la justice ? On ne peut le penser. On accuse souvent la police d'être seule responsable du mauvais accueil des femmes victimes de violence : de ne pas être assez rapide, pas assez à l'écoute, de déployer trop peu de moyens pour surveiller le respect des mesures d'éloignement, qui sont, il faut bien le dire, une blague en France. Ces accusations sont pour la plupart très justes.
 Mais quand la police fait son travail - si les effectifs le permettent - les tribunaux, eux, faillissent parfois à leur tâche. L'affaire Tristan Duval, qui vient de prendre un nouveau tournant le 21 novembre dernier, est paradigmatique de ces manquements. La question n'est pas de savoir si un bon maire fait un bon mari. La question, d'ailleurs, ne devrait même pas faire polémique, puisqu'il est inscrit, dans la loi, loi sacrosainte des pourfendeurs de #MeToo que « le prononcé de la peine complémentaire d'inéligibilité [..] est obligatoire à l'encontre de toute personne coupable d'un délit mentionné au II du présent article ou d'un crime. » (Article 131-26-2). Pourquoi, dès lors, le nom de Tristan Duval figurera-t-il sur la liste de mars ?

Lien de la pétition ▶️ https://www.change.org/p/destitution-du-maire-de-cabourg-reconnu-coupable-de-violences-conjugales 

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