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Être pauvre, est-ce être exclu ?

Par Meryl Merran - 28 février 2020

2010 a été proclamée « Année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ». Cette décision découle d’un constat partagé par les décideurs européens selon lequel « la pauvreté et l’exclusion portent atteinte non seulement au bien-être des individus, à leur faculté de participer à la vie de la société, mais aussi nuisent au développement économique ». Une décennie plus tard, il est désormais temps de nuancer, voire de contredire l’évidence de l’association des notions de pauvreté et d’exclusion. 

Si l'Union Européenne qualifie de pauvre une « personne dont les ressources matérielles, culturelles et sociales sont si faibles qu’elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables dans l’Etat membres où elles vivent », on qualifie d’exclue, selon le CNRTL, une personne « qui a été rejetée d'un groupe, qui n'a pas été admise dans un groupe ou qui n'est pas, ou n'est plus prise en considération ». Le concept d’exclusion sociale dépasse donc celui de pauvreté. On peut être exclu socialement sans être pauvre. Reste alors à savoir si l’on peut être pauvre sans être exclu ? 

FAIBLESSE DES BIENS, FAIBLESSE DES LIENS

On associe, voire on confond généralement les notions de pauvreté et d’exclusion. L’économiste François Perroux utilise par exemple l’expression « les masses de l’exclusion » afin de désigner l’ensemble des « pauvres » qui dans les pays riches ne disposent pas du minimum vital. Robert Castel parle quant à lui d’une « corrélation forte entre la place occupée dans la division sociale du travail et la participation aux réseaux de sociabilité ». Dans les discours politiques, la dynamique de sortie de la précarité économique va de pair avec la dynamique d’inclusion sociale.

“ Les gains salariaux et l’accès à la consommation ont contribué à stabiliser la classe ouvrière des années 1930 en instaurant une distance par rapport à l’immédiateté du besoin. La classe ouvrière a été rapatriée de la position de quasi-exclusion qu’elle occupait  ”

Robert Castel


Pour autant, faut-il en conclure que la précarité vient annihiler tout lien social ?

« COMPTER POUR » LES AUTRES
Même si aujourd’hui la fonction d’intégration sociale du travail s’étiole, un travailleur, aussi pauvre soit-il, participe au processus de production de richesses (même s’il n’en perçoit pas les fruits). Or, dans une société qui valorise plus qu’elle ne l’a jamais fait la contribution à l’activité productive, le travailleur pauvre incarne certes l’un des visages de la pauvreté, mais ne fait pour autant figure d’exclu.

Le fait d’apporter sa pierre à l’édifice productiviste induit de la reconnaissance de la part des autres salariés, des clients, et à fortiori de la société. Si, pour des pierres de taille et de qualité particulièrement élevée, la reconnaissance se traduit par de l’admiration ; même lorsque les pierres sont considérées médiocres, elles évitent à leur modeste contributeur indifférence, absence de considération et rejet.

D’après John Hills l’exclusion sociale repose à sur la capacité à acheter, l’implication dans des activités productives, l’engagement politique et les interactions sociales, c’est à dire le niveau d’intégration dans des réseaux familiaux, amicaux et communautaires.
Or, même dans un système d'organisation de la vie économique dans lequel la production est donnée comme objectif premier, la pauvreté n’induit pas forcément l’absence ou la perte des liens qui lient une personne à sa famille, à ses proches et aux institutions (entendues en tant qu’ensemble des règles qui régissent une collectivité).

Un « travailleur pauvre » (ou pauvre tailleur) a plus en commun avec les autres tailleurs de pierre qu’avec un « bohème » ou un « ermite », figures même de l’asociabilité. A la différence des exclus, les pauvres ne sont pas en dehors de la société mais dans la société, même s’ils occupent pour certains une place de second-rang.  
« COMPTER SUR » LES AUTRES
Non seulement être pauvre n’équivaut pas à être exclu, mais on peut considérer que le fait même d’être pauvre est incompatible avec le statut d’exclu, dans la mesure où l’assistance constitue un rempart face à l’exclusion. D’après, Eric Pliez, Président du Samu Social de paris, « être pauvre, c’est être obligé de demander de l’aide, c’est voir sa vie déprendre des autres ».

C’est précisément cette caractéristique qui amène Robert Castel à différencier le processus de désaffiliation ou d’exclusion (liens sociaux rompus, isolement social) du processus de précarisation (condamnation à survivre péniblement au jour le jour). Alors que les exclus n’ont personne sur qui compter, les pauvres peuvent compter, du moins en théorie, sur l’assistance.

D’après George Simmel « à partir du moment où ils sont assistés - ou peut-être dès que leur situation globale aurait dû exiger assistance - les pauvres deviennent membre d’un groupe particulier ». Nombreux sont ceux, dans nos sociétés, qui se disent qu’ils se garderaient bien de rejoindre ce groupe. S’il vaut mieux être seul que mal accompagné, ne vaut-il pas mieux être assisté que seul en difficulté ? Si beaucoup ont la chance de ne pas avoir à se poser cette question à titre individuel, il faut la poser à l’échelle collective afin de redonner ses lettres de noblesse à l’assistance, qu’elle soit donnée ou reçue.
Il existe des situations où les Hommes ont besoin les uns des autres. Si la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, sa propre liberté d’action peut également être compromise par des éléments plus ou moins attendus (accidents de la vie, crise économique, vieillesse, etc.). Le fait qu’une personne pauvre puisse recevoir une aide matérielle constitue l’essence même de notre projet de société, et par la même devrait s’opposer en tout point à une logique d’exclusion.

« Ce qu'à la pauvreté l'on donne, n’appauvrira jamais personne. » Louis Belmontet

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