Au quotidien, nous entendons les termes de « vitesse », « efficacité », « productivité », tous plus angoissants les uns que les autres. La qualité de notre vie semble être estimée par le métier que nous pratiquons, la productivité à rapidement faire les choses aux dépens de la qualité parfois. Ainsi, si vous allez vous promener dans un jardin, si vous restez simplement chez vous à penser, méditer, n’avez-vous pas le sentiment de ne servir à rien ? « Servir » comme si tout se mesurait à l’utilité mais qu’est-ce qu’être utile ? Si nous nous réduisons à des êtres devant effectuer les tâches qui nous sont confiées sans jamais accorder de l’importance à l’expérience de la pensée alors nous allons droit dans le mur.
Je vais vous raconter une petite anecdote qui m’a inspirée ce thème de l’émerveillement. Un matin, alors que je me dirige vers le métro pour aller travailler, voilà que le panneau d’affichage indique que le trafic est totalement interrompu sur la ligne que je prends habituellement (d’ailleurs, oui nous avons tous nos petites habitudes et nous n’aimons pas les changer car nous n’aimons pas l’imprévu, nous n’aimons pas perdre le contrôle de nos vies !). Voilà que la journée commence mal et que ma bonne humeur en prend un coup. Une fois en route pour un nouvel itinéraire, j’effectue mon changement place de la Concorde et là, à ma plus grande surprise, je m’arrête devant cette magnifique place baignée de soleil. Je m’émerveille littéralement devant Paris qui s’éveille et prends alors conscience de la beauté de Paris, de la beauté du soleil qui se lève tous les matins tout simplement. Il m’a suffi de ce rayon de soleil pour me rendre compte que trafic perturbé ou non, le monde continue de tourner et surtout que nous nous préoccupons de choses bien trop futiles. Dans nos vies, résonne la phrase « Y a pas le temps... » déclinée à toutes les sauces mais n’est-ce pas plutôt que nous ne prenons pas le temps ?
S’émerveiller, c’est accepter de perdre un peu le contrôle de sa vie, de se laisser aller et surprendre. L’émerveillement est un sentiment incontrôlable au sens où je ne peux pas prévoir ce par quoi je vais être émerveillé bien qu’il arrive que je sois émerveillé face à quelque chose que je connais déjà. Je peux m’émerveiller à plusieurs reprises devant un paysage de montagne, de la musique mais même si le sujet est identique, la situation dans laquelle nous vivons l’émerveillement sera toujours différente : le temps ne sera pas le même, nous n’aurons pas le même âge et nous aurons donc vécu des choses différentes entre les deux moments. Mais si nous en restons à nous dire que l’émerveillement est incontrôlable, que tout provient de l’extérieur, cela est bien triste car cela signifierait que nous ne sommes en rien acteurs de nos vies alors qu’en réalité, une certaine disposition de l’esprit est nécessaire pour s’émerveiller (vous remarquerez que j’utilise volontairement le verbe « s’émerveiller » et non « être émerveillé »). Faire et vivre l’expérience de l’émerveillement, c’est façonner son esprit de telle sorte qu’il soit disposé et qu’il se rende disponible à l’autre que soi pour donner toute sa place à l’émerveillement. Tel un sculpteur, il nous faut prendre le temps (cela implique de ralentir la cadence de nos vies) de donner forme à notre esprit pour qu’il puisse recevoir ce qui lui vient de l’extérieur.
Ainsi, en devenant acteur de l’émerveillement, l’on est même capable de convertir cet acte/état en acte raisonnable permettant une prise de conscience. Si l’on devient pleinement conscient de sa situation, on peut avec du recul analyser ce qui nous a émerveillé pour apprendre à mieux se connaître, à savoir ce qui est important pour nous et qui nous plaît : l’émerveillement comme prise de conscience intérieure. Toute notre personne, notre vie étant tournée à la fois vers l’intérieur et l’extérieur, il s’agit également de faire naître une prise de conscience extérieure. Par exemple, contempler une des sept merveilles du monde peut permettre une prise de conscience écologique en nous invitant à nous battre pour la sauvegarde de notre patrimoine à la fois architectural et naturel. Il s’agit de s’émerveiller intérieurement et d’agir pour que l’émerveillement puisse persister au cours des générations futures et qu’il puisse déjà tout simplement devenir plus habituel dans nos vies en insufflant aux autres cet état d’esprit.
L’émerveillement est une philosophie de vie qui aide à vivre mieux et positivement. Il appelle à s’arrêter devant la beauté, à faire une pause en se recentrant sur soi-même à une époque où tout va vite et où notre téléphone devient le centre de toute notre attention. N’est-ce pas plus agréable d’aller marcher à la découverte de nouveaux quartiers, paysages que de se contenter de faire défiler des photos souvent impersonnelles sur les réseaux sociaux ? Le virtuel n’émerveille pas, il donne simplement une impression de s’évader. S’émerveiller n’empêche pas tout de même de voir la réalité des choses parfois très éprouvante : pensons aux catastrophes naturelles, aux situations politiques semant le chaos dans des pays, aux personnes souffrant de pathologies. Il ne s’agit pas de se voiler la face ou d’être un optimiste naïf mais simplement, de savoir saisir les occasions qui nous permettent de nous émerveiller et de reprendre goût à la vie, d’être un optimiste réfléchi en somme. S’émerveiller, c’est savourer l’instant présent précisément parce que l’on ne sait pas de quoi sera fait demain. Tant de situations nous inquiètent qu’il faut savoir reconnaître quand cela va bien en disposant notre esprit à s’émerveiller même des choses qui paraissent insignifiantes. En fait, l’émerveillement est un souffle de vie qui redonne espoir.
“Au lieu de supposer que l'émerveillement est le propre des enfants et des ingénus, une émotion agréable et passagère dont on se défait en comprenant l'objet qui l'a provoquée ou en revenant aux choses sérieuses, je vous invite à penser qu'il n'y a rien de plus adulte ni de plus sérieux que de s'émerveiller. L'émerveillement nous échappe et il doit nous échapper, il nous oblige à recommencer toujours, à se retrouver sans cesse au commencement.”
— Michael Edwards, De l'émerveillement —
si nous pouvons nous permettre d'exister,
ce ne sera que grâce à nos lecteurs.
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