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Du pain et des jeux

25.07.2018 – Par Adrien Tallent, César Lacombe

2018. 21ème édition de la coupe du monde, plus grand évènement sportif de la planète. La coupe du monde de football est unique en son genre, c'est l'euphorie la plus totale.

LA PASSION

Il n'y a plus de raison qui tienne en juin et en juillet 2018. Le pays s'abandonne complètement au ballon rond et suit avec passion l'équipe nationale dans son parcours. C'est un moment unique où le pays vibre à l'unisson dans une symphonie passionnée et ce sont nos bleus qui ont remporté la coupe tant espérée par tout un pays. Mais la coupe du monde a été aussi l'occasion une fois de plus de voir l'effet que pouvait avoir le football sur les supporters ... de vrais passionnés. Il convient donc de se demander d'où vient la passion dans le foot, pourquoi ce sport parmi d'autres peut être à l'origine de mouvement de foules incroyables et de scènes de liesse jamais vues.

La définition de la passion a évolué avec le temps. Initialement, la passion (de patior, supporter, subir, souffrir) désigne un état de passivité de l'âme par rapport aux pulsions. Mais son sens a par la suite évolué pour prendre un sens plus actif où la passion désigne plus une inclination vers l'objet de cette passion qui vient troubler notre équilibre psychologique. 


Les philosophes se sont beaucoup interrogés sur ce qu'était la passion. Tout de suite voici un petit best of des citations philosophiques sur la passion à travers les siècles :

“Zénon donne cette définition de la passion : la passion est un ébranlement de l’âme opposé à la droite raison et contre la nature.”

Cicéron — 


“On peut généralement nommer passions toutes les pensées qui sont excitées en l’âme sans le secours de la volonté, et par conséquent, sans aucune action qui vienne d’elle, par les seules impressions qui sont dans le cerveau, car tout ce qui n’est point action est passion.”

— Traité des passions, Descartes — 


“J’entends par Affections du Corps par lesquelles la puissance d’agir de ce Corps est accrue ou diminuée, secondée ou réduite, et en même temps, les idées de ces Affections. Quand nous pouvons être la cause adéquate de quelqu’une de ces affections, j’entends donc par affection une action; dans les autres cas une passion.”

— Ethique, Spinoza — 


“La passion est une émotion violente et sensible de l’esprit à l’apparition d’un bien ou d’un mal, ou d’un objet qui, par suite de la constitution primitive de nos facultés, est propre à exciter un appétit.”

— Traité de la nature humaine, Hume — 


“L’inclination que la raison du sujet ne peut pas maîtriser ou n’y parvient qu’avec peine est passion.”

— Anthropologie du point de vue pragmatique, Kant — 


“Rien de grand ne s’est accompli de grand dans le monde sans passion.”

— La Raison dans l'histoire, Hegel — 


“On a plus perdu, quand on a perdu sa passion que quand on s’est perdu dans sa passion.”

— Journal du séducteur, Kierkegaard — 


Quelque chose nous frappe immédiatement. C'est l'évolution de la définition de la passion avec le temps, on passe d'un "ébranlement de l'âme" au moteur des plus grandes choses. L'étymologie d'abord montre une vision négative de la passion, une faiblesse que l'homme doit combattre. Puis progressivement, la passion ardente a su gagner sa place au panthéon des émotions, détrônant alors jusque-là l'invaincue raison qui siégeait en maîtresse absolue. La passion était vue comme le reliquat d'une nature animale qu'il s'agissait de chasser, qui n'était pas digne de l'homme. Mais, la nature raisonnable de l'homme a perdu de sa superbe au profit de sa nature passionnée qui témoigne de la puissance de l'homme. C'est la folie de la passion qui montre l'homme tel qu'il est, être infini, qu'une froide raison ne saurait exprimer entièrement.

Ainsi la passion est nécessaire à notre monde en tant qu'elle est un mouvement de l'âme, un "ébranlement" comme disait Platon, qui va donc au contraire de notre entendement classique, de notre raison. L'espace de quelques secondes, quelques minutes, on cède à cet instinct presque animal, à ce déchainement, indispensable dans notre vie qui est souvent bien monotone. Le Foot permet cela, l'espace de quelques temps on se passionne pour ce sport tirant son origine des jeux de ballons dans la Grèce Antique et codifié par nos chers amis anglais au XIXe siècle.

Dès lors, ce sport s'est développé à grande vitesse, gagnant tous les coins de la planète et rencontrant un engouement fou. Des centaines de milliers de club se sont créés, des millions et des millions de personnes se sont mises à pratiquer le foot et des millions et des millions pour ne pas dire des milliards de personnes se sont intéressées à ces clubs et ces joueurs. Si bien que l'on peut dire que le foot a aujourd'hui remplacé la religion, ou du moins est devenu son égal, comme "opium du peuple" pour reprendre les termes de Karl Marx. 
LE FOOT, OPIUM DU PEUPLE

“C'est l'opium du peuple cette histoire. Moi, je ne suis pas très footeux, alors j'ai une chose à vous dire, ça m'a toujours choqué de voir des Rmistes applaudir des millionnaires.”

— Jean-Luc Mélenchon au micro de RTL à la veille de la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud — 


Pourtant on voit ce bon vieux Jean-Luc au Stade Vélodrome de Marseille depuis qu'il y est député : ah oui le foot c'est peut-être con mais les gens aiment ça. 

Le sport, de manière générale a toujours été un moyen de canaliser les foules à commencer par la Rome Antique où les jeux étaient institutionnalisés et organisés par les empereurs eux-mêmes avec la fameuse expression "panem et circences" (du pain et des jeux). En effet, les jeux (combats de gladiateurs, batailles navales etc ... ) étaient accompagnés de distribution de pain aux spectateurs. Aujourd'hui le sport est devenu un immense spectacle et le sport le plus populaire et planétaire est le football. Tous les 4 ans, nous avons droit à la grande messe du foot avec la Coupe du Monde dont l'organisation revêt une importance énorme pour les pays candidats à cette organisation. 

Le foot nous donne l'occasion d'observer des scènes de liesse totale entre joueurs et supporters avec des chants, des danses, des fumigènes (même s'ils sont souvent interdits), des clappings ... on y retrouve donc des rites comme dans le cadre religieux, renforçant encore un peu plus la comparaison. On voit même souvent des footballeurs représentés sous la forme de Jesus en Amérique du Sud : représentation de Jesus avec la tête de Messi accompagnée de prières pour la victoire de leur équipe nationale ... La passion est totale, les supporters s'oublient l'espace de 90 minutes, font la fête, chantent les louanges de leurs joueurs favoris etc ... Mais bien sûr toute passion peut avoir ses excès. Ces excès sont vu dans le phénomène des hooligans où les matches dégénèrent en vaste combat de MMA entre les supporters. Ces excès visent parfois même les joueurs eux-mêmes : ainsi en 1994, lors de la Coupe du Monde, Andrès Escobar, un joueur colombien devient coupable de l'élimination de la Colombie en marquant un but contre son camp, il reçoit des menaces de mort et à son retour en Colombie il se fait assassiner tout simplement ... Tu y repenseras quand tu joueras au foot avec tes amis dimanche prochain.

Heureusement la plupart du temps tout se passe bien. Ainsi les joueurs de l'équipe de Colombie (décidément le foot en Colombie c'est quelque chose) ont été accueillis comme des héros à leur retour en Colombie alors que l'équipe nationale a été éliminée en 8e de finale par l'Angleterre. Beaux Joueurs.

Et bien sûr en ce qui nous concerne, nous français, les scènes de joie totale sur les champs Elysées deux jours durant (le dimanche soir jour de victoire et le lundi après-midi pour voir passer le bus des bleus avec la coupe) auront marqué toute une génération de supporters.  
LE GROUPE
Comme on vient de le voir, le football c'est aussi l'occasion de s'abandonner au groupe, on n'est plus soi même dans la foule. Gustave Le Bon disait déjà dans Psychologie des foules que les foules étaient "peu aptes au raisonnement" - c'est à dire au raison-nement, les foules agissent comme un catalyseur passionnel, c'est un individu sans raison dans lequel on s'aliène. C'est dans la foule qu'on s'abandonne le plus à la passion, il naît une énergie de cette dernière qui est le résultat de la concaténation des énergies individuelles. On perd notre capacité individuelle de raisonnement car on est transcendé par ce méta-individu qui nous dépasse et nous englobe. On devient avant tout une cellule de l'individu-foule plutôt qu'un individu rationnel. 
DAVID CONTRE GOLIATH
La passion s'exprime aussi beaucoup dans le foot grâce à l'essence du foot. Le but arrive de manière presque surprise et c'est la surprise qui provoque des expressions de joie soudaines et fortes. De plus, le foot est sans doute un des sports où il peut y avoir le plus de surprises, où le favori gagne moins souvent que dans d'autres sports. Il suffit de regarder une coupe du monde pour y voir le nombre de surprises incroyables comme l'élimination de l'Allemagne dès les phases de poules, l'élimination de l'Espagne contre la Russie, la non qualification de l'Italie... 

Dans ce contexte, il y a un élément inhérent aux supporters : le fait de soutenir la petite équipe, l'outsider... David contre Goliath. 

Mais d'où vient cette passion pour David ? On peut penser que cela a à voir avec notre société telle qu'elle est. En effet, on nous inculque très tôt qu'il faut protéger les plus faibles, "la veuve et l'orphelin" que lors d'un naufrage, d'un accident ce sont "les femmes et les enfants d'abord" ou tout simplement que le piéton est prioritaire sur la voiture c'est-à-dire que l'on fait en sorte d'avantager, de protéger le faible face au fort. Cela doit sans doute venir de l'héritage judéo-chrétien de notre société et donc du fameux mythe de David Et Goliath. 

Cependant, un autre point peut être aussi qu'il est naturel de souhaiter qu'une surprise arrive, qu'un résultat ne soit pas finalement le résultat logique, sinon tout cela serait bien monotone. A l'inverse, la victoire d'un outsider est exaltante en tant qu'elle est inattendue, qu'elle nous surprend et justement a à voir avec la passion en tant qu'elle va à l'encontre de la raison, de la "norme", de que qui devait arriver. 

La raison procède d'un ensemble de déductions logiques où des moyens mènent mécaniquement à une fin, c'est donc prévisible et prédictible. La vie raisonnable est donc prévisible, monotone, somme toute ennuyante. C'est là que la passion, abandonnant ce mode de fonctionnement permet la surprise, la nouveauté inattendue. Quand des attentes sont prévues et se confirment, la joie est faible, mais quand l'inattendu survient, alors la joie est d'autant plus folle, d'autant plus passionnée que la surprise est grande. La passion mène alors aussi à des fins heureuses et n'est plus qu'un simple abandon. 

Autre explication possible, moins passionnée celle-là mais pourtant bien réelle même si elle est a priori moins visible. Dans un contexte où notre société est de plus en plus inégalitaire, la victoire d'un outsider permet aux spectateurs/supporters de croire en leurs chances. 

Dans un article de 1991, Jimmy Frazier et Eldon Snyder compilent les résultats de leur étude. En effet, ils ont interrogé des étudiants en leur posant une question : 2 équipes s'affrontent au meilleur des 7 manches (playoffs américaines où il faut gagner 4 matchs pour gagner) dans un sport quelconque et l'équipe A est la grande favorite, quelle équipe les étudiants veulent-ils voir gagner ? Dans 81% des cas les étudiants sont du côté de l'outsider. Puis ils ont posé une 2e question : supposons que l'équipe B réussisse à gagner les 3 premiers matches et donc mener 3-0, quelle équipe les étudiants se mettraient-ils à supporter ? Et bien la moitié de ceux qui soutenaient l'outsider décident de changer de camp : encore et toujours supporter le perdant, celui qui semble en moins bonne posture. 

Dès lors, on a bien vu que pendant la coupe du monde, une majorité de spectateurs ont par exemple soutenu les valeureux mexicains contre l'ogre Allemand, les marocains contre l'Espagne, la Corée du Sud contre l'Allemagne etc... et malheureusement pour nous en finale, les croates étaient davantage supportés à travers le monde que nos chers bleus puisqu'ils étaient les outsiders. 

                                                                        Bravo les Bleus !!

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