Lorsque l’on parle de vouloir tout expliquer par des causes, on pense immédiatement bien sûr, à la religion. En effet, avant même les explications scientifiques que l’on cherche à tout prix aujourd’hui, l’Homme s’est représenté une cause absolue et quoi de plus facile que de s’imaginer un Dieu qui serait la cause de tout et qui plus est la cause première. On peut même penser que le fait de vouloir tout expliquer est une caractéristique intrinsèque, constitutive de l’Homme. En effet quel est le but de la religion sinon expliquer ? Expliquer pourquoi le temps est bon, pourquoi le temps est mauvais, pourquoi votre enfant est malade, pourquoi la récolte est mauvaise … bref, pourquoi les choses sont ce qu’elles sont et pourquoi les événements, mêmes les plus tragiques, arrivent.
Aujourd’hui on cherche donc des explications du point de vue rationnel, un dogme en a remplacé un autre. On veut expliquer ce que font les autres comme ayant obligatoirement une cause et une fin : si quelque chose se passe c’est parce que tel effet, telle loi physique, a agi sur elle et cela se fait dans un but. Il est à noter que cette démarche peut se faire consciemment comme inconsciemment, mais on voit bien là que l’on arrive à un diktat de la pensée intelligible, rationnelle. Dans toute production humaine, il nous faut comprendre la volonté qui s’y cache. Même dans une production - littéraire, cinématographique, picturale… - il nous faut savoir pourquoi l’auteur a dit, montré, représenté cela de telle manière. On échafaude des théories sur absolument toutes les productions humaines afin de leur faire dire ce qu’on a envie d’entendre, afin de justifier tout acte. On cherche finalement à comprendre, expliquer les subjectivités et le dessein qui en découle. Même si j’ai face à moi quelque chose qui n’est absolument pas réfléchi, je vais tout de même en tirer une explication, mon explication. On parle bien de mon explication car elle est totalement indépendante de l’auteur. Je force un dessein dans une production que j’observe. J’ai peut-être juste en face de moi une simple expression de la subjectivité d’un individu, mais je cherche à y trouver un acte rationnel avec une cause et une volonté, un but. Et si le mode de compréhension n’était pas la raison mais l’émotion ? Pourquoi ne pas simplement accepter une pure expression d’une subjectivité au lieu de chercher un acte à interpréter, à réinterpréter, et encore, et encore.
Cependant, cette volonté d’explication et de compréhension des choses via la rationalité n’est pas uniquement réservée aux subjectivité humaines, mais à la nature en général comme nous l’avons mentionné plus tôt. Toujours est-il que bien que cela puisse être louable, notamment dans l’opposition de fait à l’obscurantisme religieux contre lequel la science s’est battue. Un excès de volonté d’explication sur la base de la rationalité a emmené une lecture froide du monde, instrumentale, où l’émotion disparaît. On l’oublie au profit de la rationalité qui offre une grille de lecture carrée et rigide du monde, mécanique, où la logique est reine et où la prévision et le contrôle sont les maîtres mots. Le monde est réellement désenchanté, pour des êtres sensibles et émotifs - l’être humain au hasard - quel plaisir pouvons nous avoir à habiter un monde où notre existence se base sur la prévision et le contrôle et où le sensible n’a plus sa place ?
Face à cela, la pensée phénoménologique a défendu un retour aux choses mêmes, au déjà-là. C’est une méthode qui cherche à voir le monde tel qu’il nous apparaît. En s’opposant à une métaphysique qui ne voyait que la connaissance par la rationalité, la pensée, l’entendement comme unique voie pour réellement connaître l’essence des choses, la phénoménologie a défendu que nous pouvons connaître sensiblement, par nos sens, et donc a refusé la critique de la connaissance sensible qui la précédait. De cette façon, la phénoménologie approche le réel différemment que par un dualisme qui affirme une séparation entre le corps et l’esprit, en unifiant ces deux modes d’être. L’homme se retrouve réconcilié avec le réel et il peut le réinvestir de manière sensible, ne l’appréhendant plus uniquement qu’avec une froide raison.