Le psychologue Frank Keil a lui mis au point ce qu’il appelle « l’illusion de l’explication profonde » : les gens pensent comprendre le fonctionnement des choses alors que c’est faux. Ils se trouvent d’ailleurs obligés de réévaluer leurs connaissances lorsqu’ils se rendent compte qu’ils ne savent pas expliquer comment telle ou telle chose marche. Dans une série d’expériences, Philip Fernbach, Todd Rogers, Craig Fox et Steven Sloman ont appliqué cette théorie à la politique et ont démontré qu’en matière de propositions politiques les gens ont souvent une opinion bien tranchée ; cependant, lorsque les chercheurs leur ont demandé d’expliquer ces propositions politiques, les sondés ont fini par avouer qu’ils n’y comprenaient pas grand-chose alors qu’ils n’avaient aucun mal à donner des raisons justifiant leur opinion.
Dès lors, toutes ces expériences montrent que tenter de contrer l’opinion des gens par des arguments fonctionne rarement voire polarise les opinions alors que mettre les gens face à leur ignorance est bien plus efficace pour les faire se renseigner et peut-être changer d’avis. Ainsi, plutôt que de demander aux hommes politiques pourquoi ils défendent une politique, il vaudrait mieux leur demander de l’expliquer.
Joshua Greene explique que souvent tout vient du fait qu’il y a plusieurs façons d’être juste et nous avons souvent tendance à choisir le type d’équité qui nous arrange le plus : c’est l’équité biaisée. Or bien que biaisée elle reste une équité c’est pour cela que nous avons du mal à nous en rendre compte et qu’on pense agir justement surtout lorsque nous sommes concernés par la situation en question ou quand notre tribu, notre groupe est concerné : nous avons même tendance à nous sacrifier pour le bien de notre groupe. En effet, de tout temps, l’être humain s’est construit en tant que « nous » (communauté, famille …) en opposition à « eux » et l’Homme serait prêt à tout pour aider sa communauté.
Or ceci induit un problème dans le sens où l’Homme débat, on lui demande son avis et la démocratie se développant, son avis est de plus en plus important. L’Homme doit donc juger des situations, des propositions politiques sans en connaître la teneur et sans forcément en comprendre les enjeux & les limites. Les derniers faits électoraux le montrent bien. Que l’on parle de Donald Trump ou du vote sur le Brexit, nous voyons bien que l’homme lorsqu’on lui demande son avis sur des sujets sensibles comme la sortie de l’Union Européenne ou quand il s’agit d’élire un homme que certains pensent qu’il va défendre une « race américaine blanche », les électeurs peuvent se montrer illogiques. D’autant plus que l’on peut penser que ceux qui subiront le plus les effets secondaires néfastes de ces faits électoraux sont justement ceux qui ont le plus massivement voté en faveur de ces propositions ou de ces personnalités. Il suffit de regarder l’interview de Nigel Farage, alors leader du parti anti-UE UKIP (United Kingdom Independance Party), au lendemain de la victoire du « Leave » où il avoue qu’en réalité les chiffres qui avaient été placardés partout à travers le Royaume-Uni sur les économies réalisables par la sortie de l’UE étaient en réalité faux. Ces exemples récents ne sont qu’une preuve de plus de ce qu’avait déjà décrit Platon dans sa critique contre la démocratie en affirmant que le problème de la démocratie est qu’elle peut vite être détournée par les démagogues qui ne font que flatter le peuple. Le candidat, identifié par Platon comme un sophiste, flatte les plus bas instincts du peuple en rabaissant la vérité au monde des apparences. De plus la présence de multiples candidats entraîne une surenchère de promesses qui ne laisse pas de place à la rationalité.
Si bien que désormais nous avons trouvé une nouvelle forme de démagogues : les populistes, qui s’appuient sur l’ignorance des électeurs pour se faire élire … l’exemple le plus frappant reste Adolf Hitler bien sûr mais désormais à l’heure des fameuses Fake News tromper le peuple n’a jamais été aussi simple si bien que l’on dit souvent que ce sont les Fake News qui ont par exemple fait élire Donald Trump.
Combattre ce phénomène est difficile car il se sert de la manière de fonctionner de nos réseaux sociaux. En effet, les réseaux sociaux sont des entreprises capitalistes qui cherchent donc le profit et la croissance de leur nombre d’utilisateurs. Ils cherchent donc à satisfaire leurs utilisateurs qui sont aussi leurs clients et ont donc mis au point toute une série d’algorithmes afin de proposer du contenu que leurs clients sont susceptibles d’apprécier. Or ceci est donc lié aux opinions politiques de ces derniers qui ne voient alors que des articles en lien avec ce qu’ils pensent et finalement ne sont jamais confrontés à des articles qui pourraient contredire leur pensée. C’est ce qu’a montré Eli Pariser dans son ouvrage The Filter Bubble, il fait référence au concept de bulles de filtre afin de symboliser ce mécanisme. Les bulles de filtre nous entourent et le contenu que nous proposent les réseaux sociaux est filtré en fonction de sa pertinence pour nous, jugée grâce aux données enregistrées sur nos centres d’intérêts. Le contenu qui nous arrive est donc toujours similaire et cette quête de la pertinence devient une bulle qui nous enferme en nous faisant toujours voir le même type de contenu. Ainsi, l’utopie d’internet comme lieu où l’on peut confronter nos positions à des positions contraires se voit contredite. Le phénomène est plutôt inverse et tend à nous enfermer dans nos certitudes. Et les rares débats qui prennent lieu sur les réseaux sociaux se transforment en débats de comptoir où la pertinence n’est pas au rendez-vous.
Cependant, en globalisant cette réflexion, on pourrait se dire que depuis l’apparition des médias, il y a toujours eu un fonctionnement similaire. En effet, les médias ont aussi leur public et la question de la pertinence du contenu pour le public a toujours été importante. La simple différence est qu’avec l’avènement d’internet, ce phénomène est exacerbé par l’utilisation de données sur les individus afin de mieux les cerner. C’est ainsi l’avènement d’internet qui, en intensifiant les mécanismes actuels qui sont ceux d’une économie à la recherche de la croissance et du capital, dévoile des travers qui enferment les gens dans les choses intéressantes qu’ils connaissent. Le résultat en est que les fameux débats que tout le monde aime tant s’en retrouvent stérilisés et ne sont qu’une suite de monologues où chacun défend son opinion sans jamais prendre en compte l’opinion de son interlocuteur. Il ne s’agit finalement que de convaincre des personnes déjà convaincues, et cela n’entretient absolument pas la formation d’un esprit critique.
Enfin, bien que des médias aient déjà mis en place des moyens afin d’évaluer la pertinence de différentes sources d’information comme le propose Le Monde avec son service Décodex, on voit aussi à l’inverse le développement d’un traitement médiatique superficiel de l’information avec l’apparition et le développement des chaînes d’information en continu. Néanmoins, les médias les plus connus aujourd’hui ne proposent pas de confronter différents points de vue afin de permettre justement le dépassement de ce problème d’intéressement. En globalisant ainsi la réflexion à l’économie capitaliste qui fonctionne sur l’intéressement pour maximiser le profit, on peut ainsi théoriser un modèle économique en partie basé sur l’ignorance.
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