Mobirise


Notre téléphone est un horcruxe

17.03.2018 – Par Adrien Tallent, César Lacombe

Je me lève et jette un coup d’œil à mon téléphone pour lire mes notifications, je déjeune en regardant une vidéo sur YouTube, j'écoute de la musique quand je vais me doucher sur Spotify, puis je sors de chez moi et scroll inlassablement Facebook, ou joue à Clash Royale, Candy Crush, Animal Crossing... Je prends ma vie en photo que je poste sur Instagram, je RT aussi ce post qui m'a fait rire sur Twitter, et mes journées sont ponctuées de sonneries me notitifiant un message reçu sur Facebook, Messenger, Whatsapp ou par SMS. Bref. Je passe ma vie sur mon téléphone, ou plutôt avec mon téléphone, il me suit partout, il m'accompagne dans mes moindres faits et gestes.

Mon téléphone m'accompagne parce qu'il est objet, il est objet matériel - qui est formé de matière. Mais il est le corps symbolique de plus qu'un simple objet lambda, il représente bien plus, notre téléphone matérialise, incarne physiquement tous les services que j'utilise à l'ère du numérique. De la sorte, il est un concentré de moi même et gagne une fonction symbolique en tant qu'objet matériel m'accompagnant au quotidien.

Notre propos n'est pas d'écrire un énième article dénonçant l'addiction aux smartphones dont nous sommes tous victimes, mais plutôt de comprendre le symbole que ce dernier représente pour nous, l'importance qu'il a pris dans nos vies en tant qu'objet symbolique, et ce d'un point de vue individuel : notre téléphone est notre horcruxe, c'est à dire qu'on y laisse un bout de notre âme, un bout de nous même.

Rappelons que les horcruxes sont créés dans la saga Harry Potter par Voldemort, qui, en arrachant un bout de son âme par le meurtre d'une personne, créé un objet hautement maléfique qui lui permet d'être immortel même si son corps vient à être détruit, son âme étant préservée dans l'horcruxe.
PRÊTE MOI TON TÉLÉPHONE, JE TE DIRAI QUI TU ES
Notre téléphone est devenu une extension de notre personne - il contient une partie de notre âme avec tout ce qu’on y met. Il semble tellement relié à nous-même que nous avons du mal à le prêter à quelqu'un, on a envie de vérifier que ce quelqu'un ne va pas trop fouiller. En effet, notre téléphone contient tous nos secrets, ou du moins une bonne partie, notre vie intime. Il est tellement précieux pour nous que nous le protégeons des chocs en lui mettant tout un tas de protections (coque, écran de protection) mais aussi nous le protégeons des autres : nous pouvons mettre un code, comme à l'entrée de notre domicile - autre lieu hautement personnel - et maintenant nous pouvons même le déverrouiller grâce à notre empreinte digitale ou notre visage.

Notre téléphone devient le miroir de nous même, de notre âme pour pousser la métaphore de l'horcruxe. En effet, il contient tout ce qui nous définit. "Présentez-vous" me lance un responsable RH chargé de me faire passer un entretien pour le poste de mes rêves, j'ai quelques minutes pour réciter mon brief sur moi-même, pourquoi ne lui donnerais-je pas accès à mon téléphone. Ma vie professionnelle se trouve dans mon téléphone via mes mails, ma vie amoureuse se trouve dans mon téléphone via mes applications de messagerie, ma vie sociale se trouve dans mon téléphone avec mes applications de réseaux sociaux et mes contacts, mon amour pour les voyages se trouve dans mon téléphone via les interminables albums photos dont il regorge, ma passion pour la musique se trouve dans mon téléphone via les centaines d'albums que j'ai en favori sur Spotify, la planification de ma vie se trouve dans mon téléphone sur mon agenda... Presque tout ce qui nous définit se retrouve dans notre téléphone.

A partir du moment où notre téléphone nous appartient vraiment, et où une partie de notre âme y est contenue, il cesse presque d'exister en tant que téléphone, objet permettant de communiquer, mais devient un prolongement de nous - un horcruxe - que l'on protège. Ainsi, le changement de téléphone représente presque une redécouverte de l'objet : se retrouver avec un nouveau téléphone dans les mains nous fait une sensation étrange, comme si l'on avait un objet inconnu. Ce n'est plus notre horcruxe, il redevient un simple téléphone mais on s'empresse alors de le paramétrer comme le précédent en y remettant notre partie d'âme.

Notre téléphone nous représente tellement qu'on en vient à développer à son égard des sentiments très fort de possession bien sûr mais selon certains spécialistes cela pourrait aller jusqu'à des sentiments d'amour. Ainsi, une polémique a éclaté lorsque Martin Lindstrom, un auteur-consultant en neuromarketing, affirma dans le New York Times que les consommateurs aimaient, au sens premier du terme, leur iPhone, car une structure cérébrale particulière, l'insula, s'active.

“Friends who have accidentally left home without their iPhones tell me they feel stressed-out, cut off and somehow un-whole. [...] The subjects’ brains responded to the sound of their phones as they would respond to the presence or proximity of a girlfriend, boyfriend or family member.”

Martin Lindstrom dans le New York Times — 


Cependant, cette affirmation est à relativiser. En effet, un neuroscientifique réputé a demandé un droit de réponse dans ce même quotidien. Il reprochait à Lindstrom le fait que l'insula s'active à cause de stimuli certes positifs mais aussi négatifs. Cet amour pour notre iPhone est donc à relativiser. Mais le simple fait que le débat soit là est lourd de sens.
DÉTRUIRE NOTRE TÉLÉPHONE POUR NOUS TUER

Dans Harry Potter, pour tuer Voldemort, il faut d'abord détruire tous ses horcruxes puis Voldemort lui-même. Dans notre cas, si on détruit notre téléphone, on tue une partie de notre âme. Il suffit de penser à notre réaction lorsque nous cassons notre téléphone. En fait on peut voir que nous passons par les 7 phases du deuil comme lors de la mort d'un proche. D'abord le choc, on est surpris, abasourdi ; puis vient le déni "non non c'est pas vrai, c'est pas possible", on a du mal à y croire. Ensuite on est en colère, on est tenté de fracasser ce qui reste de notre téléphone contre le mur. Puis vient le désespoir, on se dit que ce genre de chose n'arrive qu'à nous. On se résigne finalement à voir notre téléphone cassé et on accepte son état. Enfin, la 7e et dernière étape est la reconstruction, matérialisée par l'achat d'un nouveau téléphone afin de remplacer notre horcruxe détruit et ainsi créer un nouvel horcruxe.

Mais pourquoi un tel mal-être à la perte de notre téléphone ? Pourquoi ressent-on un moment de faiblesse comme Voldemort lorsque Harry, Ron et Hermione détruisent un horcruxe ? Notre téléphone contient nos souvenirs, notre passé : photos, messages, agenda ... ce n'est pas pour rien que l'application de lecture des photos sur iPhone propose de créer des "souvenirs". Mais il contient aussi notre possible futur : notes prises sur des idées de projets, messages de séduction avec notre possible future moitié. De plus, notre téléphone contient une grande partie de nos interactions sociales : grâce à ce petit outil ultraconnecté, on parle à des gens, on organise nos sorties, nos rendez-vous, notre vie. Ainsi lorsqu'on se retrouve privé de notre téléphone, on se sent comme isolé car on ne peut plus communiquer avec les autres. Mais au-delà de nous connecter avec les autres, notre téléphone est un moyen de nous connecter au monde, et un formidable outil d'information. En fait, notre téléphone nous évite de nous retrouver seuls, d'être anxieux face à la solitude. Il nous rassure, il est un moyen de remplir le vide de notre vie que l'on peut parfois expérimenter et qui angoisse : on le sort de notre poche dès que l'on ne sait pas quoi faire, presque par réflexe. Il est donc notre ami, un reflet de nous, une partie de nous-même, en le détruisant on tue alors une partie de nous-même.


Enfin, si Voldemort est si désireux de créer 7 horcruxes, c'est pour atteindre l'immortalité. En effet, le but motivant la création d'horcruxes est de diviser son âme afin d'obtenir la vie éternelle. Notre téléphone étant notre horcruxe, avec un peu de prospective, on peut en effet imaginer que la partie d'âme de nous même qui s'y trouve puisse servir à nous rendre immortels, où grâce à tout ce qui y est contenu, on produirait un double digital de nous même qui nous remplacerait lorsque nous ne serions plus de ce monde. C'est un scénario déjà largement fantasmé dans des œuvres de fiction, où on pourra citer l'épisode 1 de la saison 2 de Black Mirror qui prend pour sujet cette problématique là et anticipe ce futur. C'est bien là la question de notre identité, de qui nous sommes, et si cela nous appartient qui se pose.

“Moi qui suis pourtant allé plus loin que quiconque sur le chemin qui mène à l'immortalité. Vous connaissez mon but : vaincre la mort.”

Lord Voldemort dans Harry Potter et la Coupe de Feu  — 


Ce petit objet qui nous accompagne au quotidien se révèle être beaucoup plus lié à notre personne qu'il n'y parait. Il est le reflet de nous-même, et nous nous y attachons comme à une partie de notre corps, il est connecté à notre être de la même manière qu'un horcruxe l'est à Voldemort - intensément. Nous savons que nous agissons sur nos téléphones, mais ce lien n'est pas unilatéral, et eux aussi agissent sur nous.

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