Je me lève et jette un coup d’œil à mon téléphone pour lire mes notifications, je déjeune en regardant une vidéo sur YouTube, j'écoute de la musique quand je vais me doucher sur Spotify, puis je sors de chez moi et scroll inlassablement Facebook, ou joue à Clash Royale, Candy Crush, Animal Crossing... Je prends ma vie en photo que je poste sur Instagram, je RT aussi ce post qui m'a fait rire sur Twitter, et mes journées sont ponctuées de sonneries me notitifiant un message reçu sur Facebook, Messenger, Whatsapp ou par SMS. Bref. Je passe ma vie sur mon téléphone, ou plutôt avec mon téléphone, il me suit partout, il m'accompagne dans mes moindres faits et gestes.
“Friends who have accidentally left home without their iPhones tell me they feel stressed-out, cut off and somehow un-whole. [...] The subjects’ brains responded to the sound of their phones as they would respond to the presence or proximity of a girlfriend, boyfriend or family member.”
— Martin Lindstrom dans le New York Times —
Dans Harry Potter, pour tuer Voldemort, il faut d'abord détruire tous ses horcruxes puis Voldemort lui-même. Dans notre cas, si on détruit notre téléphone, on tue une partie de notre âme. Il suffit de penser à notre réaction lorsque nous cassons notre téléphone. En fait on peut voir que nous passons par les 7 phases du deuil comme lors de la mort d'un proche. D'abord le choc, on est surpris, abasourdi ; puis vient le déni "non non c'est pas vrai, c'est pas possible", on a du mal à y croire. Ensuite on est en colère, on est tenté de fracasser ce qui reste de notre téléphone contre le mur. Puis vient le désespoir, on se dit que ce genre de chose n'arrive qu'à nous. On se résigne finalement à voir notre téléphone cassé et on accepte son état. Enfin, la 7e et dernière étape est la reconstruction, matérialisée par l'achat d'un nouveau téléphone afin de remplacer notre horcruxe détruit et ainsi créer un nouvel horcruxe.
Mais pourquoi un tel mal-être à la perte de notre téléphone ? Pourquoi ressent-on un moment de faiblesse comme Voldemort lorsque Harry, Ron et Hermione détruisent un horcruxe ? Notre téléphone contient nos souvenirs, notre passé : photos, messages, agenda ... ce n'est pas pour rien que l'application de lecture des photos sur iPhone propose de créer des "souvenirs". Mais il contient aussi notre possible futur : notes prises sur des idées de projets, messages de séduction avec notre possible future moitié. De plus, notre téléphone contient une grande partie de nos interactions sociales : grâce à ce petit outil ultraconnecté, on parle à des gens, on organise nos sorties, nos rendez-vous, notre vie. Ainsi lorsqu'on se retrouve privé de notre téléphone, on se sent comme isolé car on ne peut plus communiquer avec les autres. Mais au-delà de nous connecter avec les autres, notre téléphone est un moyen de nous connecter au monde, et un formidable outil d'information. En fait, notre téléphone nous évite de nous retrouver seuls, d'être anxieux face à la solitude. Il nous rassure, il est un moyen de remplir le vide de notre vie que l'on peut parfois expérimenter et qui angoisse : on le sort de notre poche dès que l'on ne sait pas quoi faire, presque par réflexe. Il est donc notre ami, un reflet de nous, une partie de nous-même, en le détruisant on tue alors une partie de nous-même.
Enfin, si Voldemort est si désireux de créer 7 horcruxes, c'est pour atteindre l'immortalité. En effet, le but motivant la création d'horcruxes est de diviser son âme afin d'obtenir la vie éternelle. Notre téléphone étant notre horcruxe, avec un peu de prospective, on peut en effet imaginer que la partie d'âme de nous même qui s'y trouve puisse servir à nous rendre immortels, où grâce à tout ce qui y est contenu, on produirait un double digital de nous même qui nous remplacerait lorsque nous ne serions plus de ce monde. C'est un scénario déjà largement fantasmé dans des œuvres de fiction, où on pourra citer l'épisode 1 de la saison 2 de Black Mirror qui prend pour sujet cette problématique là et anticipe ce futur. C'est bien là la question de notre identité, de qui nous sommes, et si cela nous appartient qui se pose.
“Moi qui suis pourtant allé plus loin que quiconque sur le chemin qui mène à l'immortalité. Vous connaissez mon but : vaincre la mort.”
— Lord Voldemort dans Harry Potter et la Coupe de Feu —
si nous pouvons nous permettre d'exister,
ce ne sera que grâce à nos lecteurs.
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