De retour quelques siècles en arrière, à l’aube de la modernité, émerge alors autour des rois (Henri IV en particulier), une pensée qu’on a appelé la « pensée des politiques ». En France, c’est Jean Bodin qui initie le mouvement et énonce déjà au 16ème siècle une théorie moderne du pouvoir. Il affirme alors que les religions, lorsqu’elles sont laissées à leur autonomie, sont facteurs de désordres, de guerres et violences. Il conviendrait donc que le pouvoir politique échappe à leur influence et se place au-dessus des querelles théologiques. Il ne doit se penser que comme l’instrument de l’ordre assurant la paix sociale et ainsi se dissocier de l’objectif du salut.
Sur ce fondement-là, va se construire progressivement toute la pensée de la modernité étatique et dans les années 1640, Thomas Hobbes osa présenter le pouvoir comme « un Dieu mortel agissant sous le regard lointain du Dieu immortel ». Que le pouvoir soit dans les mains d’un Prince ou d’une Assemblée parlementaire, les institutions échappent à la dépendance à l’égard du théologique.
C’est ainsi que la modernité voit le jour et s’épanouit. Pour Emile Durkheim, la modernité est un processus de séparation. « La modernité va différencier les ordres ». A partir des guerres de religion, la fonction politique se sépare de la fonction religieuse. Le politique s’autonomise et sa réalité propre se différentie de l’ordre qui hier encore l’englobait, l’ordre théologique. Le pouvoir hier venait d’en haut, de Dieu, et viendra désormais d’en-bas, du nombre. Il n’aura donc plus aucune fonction métaphysique mais une fonction immanente, de vivre les uns avec les autres, « libres et satisfaits » (Hobbes). Dieu ne dirige plus.
Charles Taylor approfondit l’analyse et affirme dans L’Âge séculier que le monde moderne se caractérise par la pluralisation des adhésions et la « sécularisation », le déclin des pratiques religieuses. La modernité est donc le moment d’un processus de désaffiliation croyante accompagné d’un processus de désaffiliation politico-juridique puisque les lois sont de moins en moins indexées sur les fonds religieux. La sécularisation est donc une rupture avec cet univers ecclésiocentré fondé sur la norme divine édictée par l’Eglise. La religion ne régit plus notre sphère privée, nous ne sommes plus sujets de Dieu.
Nous devenons sujets de l’Etat, un Etat fort qui s’est constitué avec l’avènement de la modernité aux dépens de communautés qui construisaient notre existence. Pour Tocqueville, c’est précisément sur le désert ainsi constitué que s’est fondée la modernité. L’aboutissement de ce processus a été tout d’abord la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en France, en 1789, qui libère le citoyen de sa sujétion à Dieu et lui propose le respect d’un nouveau cadre, le cadre étatique. La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905 en est un autre témoin : l’Eglise relève de la sphère privée mais, au niveau de la société et du cadre public, c’est à l’Etat moderne que nous devons allégeance.