12 mars 1989, Tim Berners-Lee invente le web. Si cela peut sonner un petit peu grandiloquent, c’est comme ça que le world wide web, dans les locaux du CERN à Genève, est né. Aujourd’hui, 30 ans après, un état des lieux s’impose. Le web aura fait fantasmer, aura drainé les plus folles idées et véhiculé les plus grands espoirs. Mais de nos jours, c’est une vision en demi-teinte que l’on a : entre fin de la neutralité du net, prolifération des fakes news et de la désinformation, et modèle économique publicitaire critiqué, l’avenir est peut-être plus sombre qu’il n’y paraît.
Ah le web, les intentions sont nobles, la réalité l’est un peu moins. En inventant le web, Tim Berners-Lee veut connecter les gens. “Je voulais lier tout à tout”, affirme-t-il. Il imagine un monde où nous serions tous connectés, avec le partage comme valeur maîtresse. Cette création du démiurge humain traîne avec elle une éprouvante mission : connecter les gens, partager du savoir et de la connaissance, exister de manière décentralisée, être neutre et ne pas discriminer les accès aux ressources pour les utilisateurs… Cependant, cela est une lourde tâche à réaliser dans notre société contemporaine. En effet, ses fondements semblent aller à l’opposé des sacro-saints idéaux que véhicule le web.
N’oublions pas un des mythes fondateurs de nos sociétés contemporaines. En simplifiant, les fondements de la démocratie s’inspirent des théories du Leviathan de Thomas Hobbes. Cette expérience de pensée nous projette à la genèse de l’humanité, où le philosophe anglais imagine que c’est la guerre de tous contre tous. De-là, par un contrat social, les hommes créent un état symboliquement fort et centralisé, consistant en un pacte entre les individus afin de garantir la cohésion sociale en nous permettant de vivre ensemble, c’est la naissance du politique. Cette théorie cherche à poser les bases de la souveraineté, en justifiant la nécessité d’un Etat souverain et contraignant - par les lois - envers les hommes. Le but est de justifier un autre modèle de société que la loi du plus fort, où les hommes seraient contraints par une méta-structure, centralisée.
La représentation de l’individu à la racine de nos Etats contemporains est donc celle d’un homme qui a besoin d’être contraint par une forme de verticalité dans l’exercice du pouvoir afin de donner lieu à des sociétés organisées.
De plus, les racines idéologiques du système capitaliste néolibéral qui est à l’oeuvre aujourd’hui dans le monde semble aller à l’encontre de ces principes et valeurs que véhicule internet. Car le conflit auquel on assiste aujourd’hui, où il s’agirait de “sauver le web” face aux forces du mal reflète en réalité un profond désaccord idéologique. Les idées du web seraient finalement d’un point de vue essentiel en opposition avec les idéaux bourgeois ayant mené à notre système capitaliste libéral actuel. L’idée de bourgeoisie se fonde sur la notion de propriété privée, ce qui s’oppose frontalement aux biens informationnels, qui par essence ne sont pas adaptés à la propriété privée mais permettent au contraire leur diffusion à grande échelle. Ce qui s’observe notamment par la diffusion du modèle de l’abonnement de nos jours, face à celui de la possession.
Ce que le web semble faire en fin de compte, c’est nous proposer un nouveau modèle de société, nous offrant les outils pour fonctionner différemment, mais par-là en rompant avec les mythes fondateurs de nos démocraties et de notre système économique. La lutte qui s’opère où il faudrait se battre pour le web, fait montre désormais d’une réelle logique au vu de l’attaque qu’il fait sur les fondements de notre monde. Avec le développement d’internet est arrivé un vocabulaire nouveau, un vocabulaire de liberté, de partage sans notion de propriété ni d’argent : on parle d'open source, de réseaux sociaux, de gouvernance horizontale… Internet semble donc en apparence en contradiction avec notre monde normé, encadré. En réalité, nous assistons donc à une vraie bataille idéologique avec l’avènement du web.
“Par réalité et perfection, j'entends la même chose.”
– Spinoza, L'Ethique -
“Ce qu’aucun de nous n’avait prédit – ou peut-être préféré ne pas voir −, c’est que le Web deviendrait un instrument d’exacerbation de l’égocentrisme et du narcissisme. La plupart des créateurs de contenu parlent aujourd’hui, non pas d’idées ou d’informations, mais d’eux-mêmes.”
– François Flückiger, article paru dans Le Monde -
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Si la foi déplace des montagnes, la peur, elle, rassemble les foules. Ce début de XXIème siècle voit un curieux phénomène prendre de plus en plus d’ampleur : dans une société par ailleurs critiquée pour son individualisme exacerbé, les manifestations pour sauver la planète se font de plus en plus fréquentes. Phénomène curieux car on assiste à des manifestations où les protagonistes ne se mobilisent pas pour protester contre le gouvernement car leur pouvoir d’achat diminue par exemple, ni parce que le chômage augmente et qu’ils en sont directement victimes, mais dans l’idée de sauver la planète.
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