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Achète-moi une glace !

20.10.2018 – Par Adrien Tallent, César Lacombe

16h28, vous vous approchez du camion de glace avec votre enfant et l’appel du sucre prend le dessus puis la douce mélodie commence “Achète-moi une glace, dis, achète moi-une glace et caetera, et caetera”.
17h12, après avoir craqué vous cherchez l’itinéraire pour rentrer chez vous sur Google Maps et un pop-up vous rappelle l’évènement passé…
“Pour continuer, activez la localisation de l’appareil, qui utilise le service de localisation de Google.”


C’est amusant, vous avez comme une impression de déjà-vu, c’est la quatrième fois aujourd’hui qu’en ouvrant Google Maps vous recevez ce même message. Pourtant, vous n’en voyez pas la raison puisque vous voulez juste un itinéraire et que si vos dix doigts vous permettent de taper le point d’arrivée, ils vous permettent aussi de renseigner le point de départ. Ayant cédé à l’appel du sucre, décidément vous ne savez vraiment pas dire non, vous cédez à l’appel de la localisation et ne désactivez plus votre position, la lassitude aura eu raison de vous.

“On ne sait pas assez que la faiblesse est une force extraordinaire et qu’il est très difficile de lui résister.”

Romain Gary, Gros-Câlin — 


Aujourd’hui ce mécanisme de répétition vous aura fait céder deux fois et ce n’est pas anodin. La manière dont vous avez cédé pour la glace illustre bien les mécanismes utilisés par Google et consorts pour vous faire accepter des choses que vous n’auriez pas acceptées au premier abord. Les designers de Google aux jeans retroussés et t-shirts col rond noir unis ne sont pas allés bien loin pour découvrir ces mécanismes, il leur a suffit d’observer comment vous fonctionnez au jour le jour et de s’en inspirer pour leurs pratiques douteuses. De la même manière qu’un ami qui vous fait “Oh tu pourras passer me chercher c’est sur le chemin” alors que vous savez tous les deux que cela vous rajoute 15 minutes de trajet vous agace, ces pratiques puériles vous agacent. On a tout de même l’intime sentiment d’une profonde malhonnêteté de la part de ces services qui ne nous donnent aucun moyen de ne plus afficher cet éternel message sur lequel on clique tout le temps sur “annuler”.

Deux conclusions : soit le service est débile - ce qui est peu imaginable - soit ils nous prennent pour des cons. Et c’est ce sentiment d’être pris pour un con qui nous agace presque plus que leurs méthodes. Mais ce que disait Gustave Le Bon en 1923 à propos des journaux est encore d’actualité, les concepteurs de ces services n’ont rien inventé et se contentent d’adopter l’adage “c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures”.

“Si la publicité des journaux constitue un moyen de persuasion très efficace, c’est que peu d’esprits se trouvent assez forts pour résister au pouvoir de la répétition.”

Gustave Le Bon, Les Incertitudes de l’heure présente — 


Alors qu’en 1923, on était uniquement spectateur, en 2018 on est acteur puisqu’on interagit avec des systèmes dynamiques et ce passage obligé “Pour continuer, activez la localisation de l’appareil, qui utilise le service de localisation de Google” qui nous rajoute en permanence une interaction inutile nous donne plus l'impression d'un mauvais design plutôt que d'une idée révolutionnaire.
GRANDIR
Google a été fondé en 1998 et fête cette année ses 20 ans, mais ses pratiques nous font plutôt penser à celle d’un enfant de 5 ans qui nous répète inlassablement “Achète-moi une glace” jusqu’à ce qu’on cède. Alors qu’en grandissant on apprend à s’arrêter au bout d’un moment, Google lui n’a pas reçu cette éducation et continue d’agir comme un enfant de 5 ans. Comme le petit Matteo, il s’agit d’éduquer Google. Google fait partie de la vie des gens, dans cette optique, il doit apprendre à vivre avec nous sous peine d’augmenter la défiance à son égard. Éduquer Google n’est pas important uniquement pour nous, consommateurs, utilisateurs, mais c’est aussi dans son propre intérêt : mieux comprendre et mieux dialoguer avec les utilisateurs afin d’être moins vu comme le grand méchant loup mais être dans une démarche sincère et transparente. 

“It matters not how much capital you may have, how fair rates may be, how favorable the conditions of service, if you haven’t behind you a sympathetic public opinion, you are bound to fail.”

Samuel Insull — 


De plus, récemment, les opinions publiques, notamment dans le monde occidental, sont devenues bien plus exigeantes. Elles recherchent du sens chez ces géants américains et sont bien plus demandeuses de respect vis-à-vis de la nature, de leur liberté, de leur vie privée... Or c'est dans l'intérêt de Google d'évoluer selon les évolutions des opinions publiques. 

“Modern business must have it finger continuously on the public pulse. It must understand the changes in the public mind and be prepared to interpret itself fairly and eloquently to changing opinion.”

Edward Bernays, Proganda — 


De la même manière qu'on décide d'éduquer nos enfants, en leur transmettant des connaissances et en leur permettant de "faire société", il faudrait éduquer ces entreprises qui passent en quelques années d'un garage à d'immenses campus dans la Silicon Valley. L'éducation est un projet, c'est le moyen par lequel nous transmettons nos connaissances de génération en génération ; moyen par lequel se construit une société. De son étymologie "ex-ducere", littéralement "conduire hors de", l'éducation a pour but de guider l'enfant, de développer ses capacités intellectuelles, physiques, sociales... on pourrait même dire sortir l'enfant de ses comportements instinctifs pour en faire un être humain à part entière, c'est-à-dire en faire un "animal politique" pour reprendre la célèbre formule d'Aristote qui définit l'homme comme "Zoon Politikon" dans La Politique. Quand Aristote affirme cela, il veut dire que l'homme est fait pour vivre dans la polis, la cité, c'est-à-dire, fait pour vivre en société, avec d'autres individus. L'éducation est donc cruciale car c'est ce qui permet notamment de passer du "je" au "nous", d'apprendre à faire société. Ainsi, que ce soit Platon avec son Académie ou Épicure avec son Jardin, l'éducation a toujours été un enjeu primordial. C'est le projet qu'on a pour faire société qui se matérialise dans l'éducation, l'éducation peut être vu comme la base, le fondement de la société.

Aujourd'hui, on ne fait cependant plus société uniquement avec d'autres individus. La complexité de notre monde grandissant, de nouveaux acteurs sont là et la société est devenue plurielle. On fait aussi société avec des organisations diverses avec qui l'on a des rapports tous les jours, avec qui l'on échange, avec qui l'on partage des choses. D'autant plus qu'aujourd'hui, les entreprises sont dans un rapport de séduction vis-à-vis du consommateur, il ne s'agit plus uniquement de vendre un produit manufacturé, mais il faut vendre une expérience, un service. Le lien créé avec les entreprises est donc devenu de plus en plus fort et leur importance dans la société de plus en plus marquée. Il faudrait peut-être alors chercher à apprendre aussi à ces organisations à faire société, en reconnaissant leur vrai rôle et leur vrai impact dans nos vies quotidiennes, éduquer ces dernières semble un impératif.

Ainsi, on dit souvent que ces entreprises nous infantilisent, que la société nous infantilise, mais c'est peut-être tout simplement parce que ces entreprises sont elles-même des enfants. Il suffit de regarder comment des parents parlent à leur nouveau-né pour avoir une idée de comment on parle à ces entreprises-enfants. 

Il n’y a finalement qu’une chose à dire, mais Hubert Bonisseur de La Bath l’a si bien dit dans OSS 117, Le Caire nid d’espion :

                                                                 "Il s’agirait de grandir."

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