Du pain et des jeux
Pourtant on voit ce bon vieux Jean-Luc au Stade Vélodrome de Marseille depuis qu'il y est député : ah oui le foot c'est peut-être con mais les gens aiment ça.
Le sport, de manière générale a toujours été un moyen de canaliser les foules à commencer par la Rome Antique où les jeux étaient institutionnalisés et organisés par les empereurs eux-mêmes avec la fameuse expression "panem et circences" (du pain et des jeux). En effet, les jeux (combats de gladiateurs, batailles navales etc ... ) étaient accompagnés de distribution de pain aux spectateurs. Aujourd'hui le sport est devenu un immense spectacle et le sport le plus populaire et planétaire est le football. Tous les 4 ans, nous avons droit à la grande messe du foot avec la Coupe du Monde dont l'organisation revêt une importance énorme pour les pays candidats à cette organisation.
Le foot nous donne l'occasion d'observer des scènes de liesse totale entre joueurs et supporters avec des chants, des danses, des fumigènes (même s'ils sont souvent interdits), des clappings ... on y retrouve donc des rites comme dans le cadre religieux, renforçant encore un peu plus la comparaison. On voit même souvent des footballeurs représentés sous la forme de Jesus en Amérique du Sud : représentation de Jesus avec la tête de Messi accompagnée de prières pour la victoire de leur équipe nationale ... La passion est totale, les supporters s'oublient l'espace de 90 minutes, font la fête, chantent les louanges de leurs joueurs favoris etc ... Mais bien sûr toute passion peut avoir ses excès. Ces excès sont vu dans le phénomène des hooligans où les matches dégénèrent en vaste combat de MMA entre les supporters. Ces excès visent parfois même les joueurs eux-mêmes : ainsi en 1994, lors de la Coupe du Monde, Andrès Escobar, un joueur colombien devient coupable de l'élimination de la Colombie en marquant un but contre son camp, il reçoit des menaces de mort et à son retour en Colombie il se fait assassiner tout simplement ... Tu y repenseras quand tu joueras au foot avec tes amis dimanche prochain.
Heureusement la plupart du temps tout se passe bien. Ainsi les joueurs de l'équipe de Colombie (décidément le foot en Colombie c'est quelque chose) ont été accueillis comme des héros à leur retour en Colombie alors que l'équipe nationale a été éliminée en 8e de finale par l'Angleterre. Beaux Joueurs.
Et bien sûr en ce qui nous concerne, nous français, les scènes de joie totale sur les champs Elysées deux jours durant (le dimanche soir jour de victoire et le lundi après-midi pour voir passer le bus des bleus avec la coupe) auront marqué toute une génération de supporters.
Comme on vient de le voir, le football c'est aussi l'occasion de s'abandonner au groupe, on n'est plus soi même dans la foule. Gustave Le Bon disait déjà dans Psychologie des foules que les foules étaient "peu aptes au raisonnement" - c'est à dire au raison-nement, les foules agissent comme un catalyseur passionnel, c'est un individu sans raison dans lequel on s'aliène. C'est dans la foule qu'on s'abandonne le plus à la passion, il naît une énergie de cette dernière qui est le résultat de la concaténation des énergies individuelles. On perd notre capacité individuelle de raisonnement car on est transcendé par ce méta-individu qui nous dépasse et nous englobe. On devient avant tout une cellule de l'individu-foule plutôt qu'un individu rationnel.
La passion s'exprime aussi beaucoup dans le foot grâce à l'essence du foot. Le but arrive de manière presque surprise et c'est la surprise qui provoque des expressions de joie soudaines et fortes. De plus, le foot est sans doute un des sports où il peut y avoir le plus de surprises, où le favori gagne moins souvent que dans d'autres sports. Il suffit de regarder une coupe du monde pour y voir le nombre de surprises incroyables comme l'élimination de l'Allemagne dès les phases de poules, l'élimination de l'Espagne contre la Russie, la non qualification de l'Italie...
Dans ce contexte, il y a un élément inhérent aux supporters : le fait de soutenir la petite équipe, l'outsider... David contre Goliath.
Mais d'où vient cette passion pour David ? On peut penser que cela a à voir avec notre société telle qu'elle est. En effet, on nous inculque très tôt qu'il faut protéger les plus faibles, "la veuve et l'orphelin" que lors d'un naufrage, d'un accident ce sont "les femmes et les enfants d'abord" ou tout simplement que le piéton est prioritaire sur la voiture c'est-à-dire que l'on fait en sorte d'avantager, de protéger le faible face au fort. Cela doit sans doute venir de l'héritage judéo-chrétien de notre société et donc du fameux mythe de David Et Goliath.
Cependant, un autre point peut être aussi qu'il est naturel de souhaiter qu'une surprise arrive, qu'un résultat ne soit pas finalement le résultat logique, sinon tout cela serait bien monotone. A l'inverse, la victoire d'un outsider est exaltante en tant qu'elle est inattendue, qu'elle nous surprend et justement a à voir avec la passion en tant qu'elle va à l'encontre de la raison, de la "norme", de que qui devait arriver.
La raison procède d'un ensemble de déductions logiques où des moyens mènent mécaniquement à une fin, c'est donc prévisible et prédictible. La vie raisonnable est donc prévisible, monotone, somme toute ennuyante. C'est là que la passion, abandonnant ce mode de fonctionnement permet la surprise, la nouveauté inattendue. Quand des attentes sont prévues et se confirment, la joie est faible, mais quand l'inattendu survient, alors la joie est d'autant plus folle, d'autant plus passionnée que la surprise est grande. La passion mène alors aussi à des fins heureuses et n'est plus qu'un simple abandon.
Autre explication possible, moins passionnée celle-là mais pourtant bien réelle même si elle est a priori moins visible. Dans un contexte où notre société est de plus en plus inégalitaire, la victoire d'un outsider permet aux spectateurs/supporters de croire en leurs chances.
Dans un article de 1991, Jimmy Frazier et Eldon Snyder compilent les résultats de leur étude. En effet, ils ont interrogé des étudiants en leur posant une question : 2 équipes s'affrontent au meilleur des 7 manches (playoffs américaines où il faut gagner 4 matchs pour gagner) dans un sport quelconque et l'équipe A est la grande favorite, quelle équipe les étudiants veulent-ils voir gagner ? Dans 81% des cas les étudiants sont du côté de l'outsider. Puis ils ont posé une 2e question : supposons que l'équipe B réussisse à gagner les 3 premiers matches et donc mener 3-0, quelle équipe les étudiants se mettraient-ils à supporter ? Et bien la moitié de ceux qui soutenaient l'outsider décident de changer de camp : encore et toujours supporter le perdant, celui qui semble en moins bonne posture.
Dès lors, on a bien vu que pendant la coupe du monde, une majorité de spectateurs ont par exemple soutenu les valeureux mexicains contre l'ogre Allemand, les marocains contre l'Espagne, la Corée du Sud contre l'Allemagne etc... et malheureusement pour nous en finale, les croates étaient davantage supportés à travers le monde que nos chers bleus puisqu'ils étaient les outsiders.
Bravo les Bleus !!