199 928 851. C’est le nombre de produits disponibles sur la marketplace d’Amazon. Et pourtant ces centaines de millions de produits ont d’abord été quelques livres vendus par un certain Jeff Bezos via son site amazon.com au milieu des années 1990. Aujourd’hui, Jeff est l’homme le plus riche du monde, de loin, de très loin, de très très loin, et a dépassé les 200 milliards de dollars de fortune le 26 août 2020.
Comment un libraire est-il devenu l’homme le plus riche du monde ?
UN PEU D'HISTOIRE
En 1994, un certain Jeffrey quitte son travail pour fonder son site Amazon.com dans son garage. Aujourd'hui, ce même Jeffrey est l’homme le plus riche du monde. Started from the bottom and now we’re here. Un conte de fée comme les États-Unis en font. Depuis, Jeff est présenté comme un modèle de réussite. Il est un père spirituel pour tous les entrepreneurs en herbe qui rêvent de tout plaquer pour devenir millionnaires. Mais il y a tout de même une ombre au tableau. Une ombre de 250 000 dollars investis par ses parents pour l’aider à se lancer. Visiblement, tous ceux qui rêvent de se lancer dans l’entrepreneuriat ne commencent pas forcément dans les mêmes garages. Bien sûr, la réussite reste incroyable, mais avoir 250 000$ de base facilite tout de même les choses et nous permet de voir l’histoire un peu différemment.
Quoi qu’il en soit, en avril 2019, 119 928 851 produits étaient en rayon sur le site, dont 44,2 millions de livres. Si vous en doutiez, voici la preuve : Amazon est d’abord une librairie. Mais si Amazon a commencé comme une simple librairie en ligne, aujourd’hui le site s’est largement diversifié et vend TOUT. Ce libraire a remonté la chaîne de valeur peu à peu avec un plan précis en tête : vendre le moins cher possible, quitte à ne faire aucun bénéfice, pour ensuite devenir le seul et unique vendeur. Ainsi pendant de nombreuses années, seul AWS (Amazon Web Service) permettait à Amazon de gagner de l’argent. Mais le résultat est là : si vous cherchez quelque chose, il est sur Amazon. Tel le fleuve éponyme, Amazon coule et englobe tout sur son passage.
Sa part de marché est gigantesque. 44% des clients américains achètent leurs produits électroniques sur Amazon. Car c’est cela le monde Amazon : remplacer – et donc détruire – les boutiques ayant pignon sur rue par une caverne d’Ali Baba virtuelle et gigantesque. Une caverne si grande que même les 40 voleurs n’auraient pas pu la rêver.
Mais ce géant est aussi un tiers de confiance. Amazon a gagné notre confiance en nous livrant ce que nous voulions, où nous le voulions et en un temps record. Aujourd’hui, 89% des acheteurs préfèrent Amazon aux sites de e-commerce concurrents. 103 millions d’Américains sont ainsi abonnés à Amazon Prime.
Et ça marche ! En 2019, selon un sondage, Amazon était l’entreprise préférée des Américains
Amazon est un monde. Tel un parc d'attractions, Amazon World vous propose tout directement dans le parc. Entrez dans un monde de biens et de services. Commandez vos produits sur Amazon, regardez des films et des séries avec Prime Vidéo, lisez sur votre liseuse avec Kindle, écoutez des audiobooks avec Audible, suivez vos streamers favoris avec Twitch, demandez à Alexa d’allumer la lumière etc…
Petit à petit, l’ogre Amazon a racheté pléthore de services pour se positionner comme l’acteur n°1 sur à peu près tout, et façonner un monde à son image pour votre plus grand plaisir.
AMAZON WORLD
Bien plus qu’une simple boutique en ligne, c’est une véritable idéologie qui est véhiculée par le géant du e-commerce. Et en se risquant à en esquisser les traits, l’idéologie Amazon pourrait être décrite de la sorte :
Tout d’abord, voir en le progrès technique la possibilité d’améliorer le confort, dans une optique de réduction systématique de l’effort. Amazon s'évertue à faire en sorte que nous en fassions toujours le moins possible, pour notre plus grand plaisir. Le paroxysme ? Amazon lançait en 2015 ses Dash buttons, des petits boutons connectés à installer partout dans votre maison, avec comme objectif de vous permettre de passer des commandes Amazon pour vous réapprovisionner en produits de tous les jours (lessive, pq, café…). Comme ça, plus besoin de penser à racheter un produit qu’on achète tous les jours, car la commande se fait d’une simple pression du doigt. Finalement, l’initiative n’étant pas un succès pour Amazon, la commercialisation des Dash buttons fut arrêtée en 2019, pour être remplacés par tout l'écosystème Alexa et le Dash replenishment service. Évidemment, quoi de plus simple encore, et quoi de plus confortable que d’imaginer vos appareils électroniques & électroménagers commander eux-mêmes les recharges dont ils ont besoin. Et puis pour le reste, vous n’avez qu’à demander à votre assistant Alexa de commander pour vous, et aussitôt dit, aussitôt fait.
Que dire du reste de l’idéologie Amazon ? Il nous suffit de reprendre les quelques exemples ci-dessus et de voir comment dans ces quelques initiatives transparaît l’idéologie Amazon dans toute sa splendeur.
Très brièvement, on retrouve une foi dans le progrès technique, digne d’Auguste Comte et toute sa clique du XIXème siècle, avec le mouvement du positivisme. Car quoi de mieux qu’un soupçon de technologie pour égayer votre quotidien et résoudre tous vos problèmes ?
Tout devient alors un problème qui doit être résolu grâce à la technologie. C’est problématique d’être à court d’encre dans votre imprimante ? Alors faisons en sorte que votre imprimante puisse commander sur Amazon des nouvelles cartouches d’encre et le problème est résolu.
Et puis c’est bien pratique, car une fois que votre imprimante sait commander sur Amazon, elle ne commande plus que sur Amazon, et ça fait 2 heureux.
Enfin, après avoir révélé le visage du confort, puis celui du solutionnisme technologique, la dernière carte de l’idéologie Amazon se trouve être celle de l’accélération. Toujours plus, toujours plus vite.
Rappelez-vous en 2010 quand vous passiez une commande sur Amazon, les temps de livraison étaient de l’ordre de la semaine. Aujourd’hui, plus de 2 jours de délai de livraison vous font pester. Le monde va toujours plus vite, et Amazon y participe. Amazon livre aujourd’hui même parfois dans la journée, et la firme américaine a investi en 2019 la bagatelle de 800 millions de dollars sur un trimestre pour continuer à accélérer sa capacité de livraison, c’est formidable !
Mais livrer en un jour, voire dans la journée, c’est déjà trop long pour Amazon. Vous imaginez ? Devoir attendre qu’un client fasse une commande avant de faire le paquet et le livrer ? Quel archaïsme ! Aujourd’hui Amazon veut aller plus loin. Car avec les innombrables commandes que vous et les profils semblables font chaque jour, Amazon en sait beaucoup sur vous, sur vos envies et votre manière de consommer. Si bien que Jeff s’est fixé un nouvel objectif : anticiper vos besoins et envoyer vos produits avant même que vous ayez passé commande. Nous sommes si prévisibles !
Voilà le monde dans lequel Amazon veut nous faire vivre, un monde automatisé où la technologie est là pour anticiper et réaliser à notre place les moindres efforts que nous aurions dû faire.
La promesse peut avoir l’air alléchante, mais que nous dit le revers de la médaille ?
Amazon participe au changement de notre monde. Certains appellent cela “crise”, d’autres “révolution”, peu importe le nom qu’on lui donne, il est bien là. Le monde change et aujourd’hui les gains permis par la révolution internet se concentrent dans les mains de quelques géants tels Amazon et consorts.
Les boutiques traditionnelles que l’on pouvait retrouver disparaissent petit à petit face à la concurrence du digital. Tout le monde n’a pas réussi à attraper le coche. Alors vivrons-nous demain dans un monde où l’on fera nos courses dans les magasins Amazon Go, sans avoir besoin de payer car tout sera filmé par caméra et on errera parmi les rayons au milieu des autres consommateurs ? Peut-être. Peut-être aussi que ce seront des drones qui viendront nous livrer à nos fenêtres, quelques heures après notre commande, le PQ dont on a besoin juste avant d’en arriver à court quand nos toilettes connectées auront passé la commande à notre place.
Demain, le monde sera différent, c’est enfoncer une porte ouverte que d’avancer cela.
En revanche, ce qui est inquiétant, ce sont bien les actes dont se sert Amazon pour imposer sa vision du monde, les moyens pour arriver à ses fins, ce qui traduit l’idéologie que le géant américain cherche à nous imposer – et les tristes conséquences qui en découlent.
On retrouve avec l’hégémonie Amazon des travailleurs de l’ombre, des cols bleus, précaires, soumis à un rythme bien souvent effréné. Ces salariés des entrepôts Amazon, ceux-là même qui préparent vos commandes sont traqués par la technologie, leurs actions sont mesurées, et tout est fait pour améliorer leur productivité, et la vitesse à laquelle ils peuvent vous envoyer vos précieux colis. Une espèce de cyber-productivité 2.0, où le rythme est dicté par la machine, et où tout est analysé en permanence. La cadence est alors donnée par un algorithme et l’homme est réduit à une force de travail brute. Un Big Brother digital au service de l’entreprise.
Et avec les inégalités sociales, viennent aussi les scandales environnementaux. Comme trop souvent malheureusement, l’argent est supérieur à l’environnement, et massacrer la planète vaut bien quelques points de croissance.
En 2019, un scandale éclatait où il était révélé qu’Amazon aurait détruit trois millions de produits en France sur l’année 2018. Bravo Jeff ! Amazon détruisait sans pression et sans le moindre remord des invendus en parfait état de fonctionnement : matériel high tech, électroménager, jouets… Tout cela doit vous sembler absurde, mais visiblement détruire des objets neufs en parfait état de fonctionnement revenait moins cher que de les garder et les stocker quand on s’appelle Amazon, qu’on a un business model fondé sur la vélocité, et qu’on cherche la croissance à tout prix.
À tout prix.
Alors que faire face au géant ? Si on semble impuissant à sauver l’Amazonie de la déforestation, on semble tout aussi impuissant à sauver le monde d’Amazon. Mais la résistance s’engage. Si le principe confinement est voué à profiter au commerce en ligne et donc in fine à Amazon, le reconfinement de novembre a été l’occasion de voir les commerçants accompagnés de certains politiques être vent debout contre le géant de Jeff. Sans doute que l’augmentation phénoménale de la fortune de Jeff en 2020 sous l’effet des confinements à travers le monde en a refroidit plus d’un. Car avec l’augmentation de l’action d’Amazon pendant la crise sanitaire, le bougre a vu sa fortune augmenter de presque 100 milliards de dollars.
“Je le dis vraiment aux Parisiennes et aux Parisiens : n’achetez pas sur Amazon. Amazon c’est la mort de nos librairies et de notre vie de quartier”
Anne Hidalgo, maire de Paris
“Amazon se gave, mais à nous de ne pas les gaver”
Roselyne Bachelot, ministre de la culture
Alors boycottons Amazon ! Ce n’est malheureusement pas si simple… Peut-être pouvons-nous ne plus commander sur Amazon et aller dans un commerce à la place, ou commander directement sur le site de la marque, mais pouvons-nous réellement éviter Amazon ? Avec 32% de part de marché du Cloud mondial, Amazon Web Services fait tourner la majorité de l’internet mondial… pas si simple.
La solution miracle ! Le Click & Collect. S’il est évidemment une bonne chose pour les commerçants, il ne pourra jamais compenser les ventes qu’ils font en temps normal. A titre d’exemple, si les ventes par internet auprès des commerçants ont progressé de 68% en octobre… cela n’a représenté que 4% de chiffre d’affaire additionnel. Il va falloir en commander des livres…
Pourtant la France est un des pays qui tient le plus tête. Si Amazon est évidemment le leader incontestable de la vente en ligne et représente 20% des achats en ligne des Français, sa part de marché en Allemagne est de presque 30% et de plus de 30% au Royaume-Uni. Sans parler de sa part de marché de presque 50% aux Etats-Unis.
Et les librairies résistent. Avec 3 300 librairies réparties sur le territoire, la France compte ainsi l’un des réseaux les plus denses du monde.
si nous pouvons nous permettre d'exister,
ce ne sera que grâce à nos lecteurs.
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