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Les lectures et les plumes de nos présidents

20.01.2019 – Par Gauthier Simon

Emmanuel Macron a profité des dernières semaines pour lire au Fort de Brégançon et pour peaufiner sa fameuse lettre aux Français qui ouvre les hostilités du débat national. Une occasion pour se pencher sur le rapport qu’entretiennent nos présidents à la lecture et à l’écriture.

Tous les hommes et femmes politiques de premier rang ont écrit, écrivent ou écriront. Le moment de l’écriture est un rituel dans la carrière politique. Un passage quasi-obligé pendant lequel on prend de la hauteur dans la perspective d’une campagne présidentielle, on règle ses comptes, ou bien on prend du recul pour une réflexion intro/rétrospective. Aujourd’hui les personnalités politiques écrivent de plus en plus alors qu’elles reconnaissent ouvertement moins lire qu’auparavant. A ce paradoxe s’ajoute un autre. Alors qu’au travers des enquêtes d’opinion, les Français se disent de plus en plus déçus par leurs représentants, ils s’arrachent leurs productions littéraires, plus nombreuses mais de moins bonne facture. Il y a donc un double mouvement d’inflation et de dégradation.

Le livre est un vecteur de communication et une plateforme électorale destiné au public, comme le suggère l’esprit de l’élection présidentielle au suffrage universel direct. Alors qu’au début de la Ve République, les livres étaient réservés aux personnes sorties de la vie politique ou en campagne, le rythme des publications est continu puisque les hommes et femmes politiques sont désormais en campagne permanente. A l’inverse de ce que peut penser un François Mitterrand, qui voyait dans l’écriture une manière de compenser un rythme oratoire effréné parfois antilittéraire. Dans cette perspective, écrire c’est se défaire d’une part de soi-même, c’est économiser le mot ou la phrase pour aller plus directement à l’expression – « droit au but » diront certains. Ecrire c’est souvent publier, donc une manière d’exister dans le paysage médiatique ultra compétitif dans lequel une bonne interview, une publication des bonnes feuilles peut doper les performances éditoriales, donc la visibilité et l’aura politique.  

L'ECRITURE PROCEDE DE LA LECTURE

“Les hommes politiques qui n'ont pas de pensée conceptuelle ne m'intéressent pas ! ”

– Edgar Faure - 


Lire c’est donner à boire et à manger à l’écrivain. Les livres ne s’écrivent pas ex nihilo, ils sont le fruit de nos expériences littéraires. « Ecrire, c'est lire en soi pour écrire en l'autre » disait l’ancien membre de l’académie Goncourt Robert Sabatier. Un livre lu attentivement et authentiquement est un livre que l’on réécrit. Nous n’avons jamais la même lecture que notre voisin, nous ne remarquons pas les mêmes choses, mais nous partageons la même hantise d’oublier les pages parcourues. Cependant, ces dernières ressurgissent lorsque nous écrivons. L’hypermnésie de l’écrivain surprendra toujours la schizophrénie du lecteur.

Notre époque souffre de malbouffe et de sous-nutrition littéraire. Car si la population française se déclare attachée à la lecture, sa pratique est en déclin, concurrencée par d’autres loisirs moins ascétiques. Les hommes et femmes politiques n’échappent pas à cette tendance. C’est sans doute le cas du porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux qui confondait tout simplement l’historien de l’Ecole des Annales Marc Bloch et l’académicien réactionnaire Charles Maurras. L’ « erreur humaine », derrière laquelle il a voulu se cacher, semblait relever d’une certaine inculture historique et littéraire. L’académicien Alain Peyrefitte, porte-parole du gouvernement Pompidou, les aurait-il confondus ? Sans doute pas mais ne tirons pas sur les ambulances car après tout, l’erreur est « humaine ».

L’étonnante franchise de Fleur Pellerin, ancienne ministre de la culture, est quant à elle beaucoup plus problématique. En octobre 2014, la ministre déclare abruptement : « J’avoue sans problème que je n’ai pas du tout le temps de lire depuis deux ans. Je lis beaucoup de notes, beaucoup de textes de loi, les nouvelles, les dépêches AFP, mais en réalité, je lis très peu ». Pour couronner le tout, elle n’est pas capable de citer un ouvrage de Patrick Modiano alors que celui-ci vient de recevoir le prix Nobel de littérature. En tentant de se rattraper, la ministre affirme pleine d’assurance qu’ « un ministre, en 2014 ou en 2015, n’est pas quelqu’un qui est payé pour lire des livres chez soi » vouant ainsi aux gémonies son prédécesseur André Malraux qui avait pour habitude de passer ses mâtinés à la « Lanterne » pour écrire, ou le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire qui a consacré une part conséquente de son temps libre à la rédaction de Paul, une amitié.

“En Amérique, le président jure sur la Bible, en France il pose devant la bibliothèque.”

Michel Crépu — 


En évoquant l’histoire et la littérature, Erik Orsenna, ancienne plume de François Mitterrand, observait que « ne pas en être imprégné, pour un président, c'est un peu comme l'équipe de France ne chantant pas La Marseillaise ». Gardons-nous de lancer le débat houleux sur la Marseillaise et venons-en au père fondateur de la Ve République, le général de Gaulle, qui a longtemps hésité entre l’écriture et la politique, et qui, dans une autre vie, se serait même vu bibliothécaire, lui qui confiait à son aide de camp en 1942 que le plus beau métier était d’être « bibliothécaire dans une petite ville. Quel calme ! Quelle belle vie ! ». Avec près de 2 200 livres, sa bibliothèque de La Boisserie reflète un extraordinaire éclectisme littéraire et historique, qui lui permet d’avoir un esprit autant plongé dans le contemporain que dans le passé et ainsi de perpétuer l’alliage entre politique et littérature propre à la France. Le général de Gaulle perçoit les livres comme des instruments de pensée et donc de travail, lui qui s’aménage trois après-midi par semaine pendant lesquels il est interdit de toquer à la porte de son bureau élyséen. Ces moments lui permettent de franchir de nouvelles frontières intellectuelles, en développant une compréhension historique sans cesse à la recherche de concordance des temps entre la Grèce antique de Périclès ou bien Chateaubriand et ses décisions dans la France du XXe siècle. Lorsque de Gaulle compose son gouvernement en 1944, il recherche un « normalien sachant écrire » et confie donc un poste de chargé de mission pour l’Education nationale au professeur de lettres Georges Pompidou, le « boursier conquérant » (Jean-François Sirinelli) de la méritocratie républicaine. Avant de devenir premier ministre, l’homme de confiance du général publie une anthologie de la poésie française dans laquelle il évoque son lien presque charnel avec la poésie, « la forme d'art la plus parfaite, en tout cas celle qui me touche le plus ». Pour le centenaire de la mort de Charles Baudelaire en 1967, le pensionnaire de Matignon se rend à Nice le temps d’une journée afin de donner une conférence sur l’auteur des Fleurs du mal. L’amateur de poésie laisse ensuite sa place à un amateur de chiffres. 

“Le véhicule de la pensée, c’est l’écriture et la lecture. ”

– Valéry Giscard d’Estaing - 


Le polytechnicien Valéry Giscard d’Estaing est plus « disruptif », lui qui considère que l’écriture et le pouvoir n’ont « aucun rapport », car appartenant à deux registres différents. En 1967, il confie au gaulliste de gauche Emmanuel d’Astier de La Vigerie : « la durée est absente de la création politique. J'ai toujours pensé que la création la plus élevée était la création artistique ou littéraire, fragile mais irremplaçable. Pour un autre âge, je choisirais l'écriture: je me jugerais sur la littérature... ». VGE se met à l’écriture à la fin de son mandat présidentiel et fait preuve, plume à la main, d’une liberté que les observateurs ne lui connaissaient pas, lui qui avait parfois du mal à communiquer en tant que président. Outre ses mémoires Le pouvoir et la vie, le néophyte de l’écriture s’essaie même au roman sentimental pour évoquer le rapport entre pouvoir politique et sentiments dans La Princesse et le Président (2009), ouvrage dans lequel il rend hommage à Lady Diana. Il est parfois moqué, comme ici par Alain Duhamel : « Valéry Giscard d’Estaing, grand politique, essayiste mémorable, est fait pour le roman sentimental comme Houellebecq pour présider le Conseil des ministres ». Elu à l’Académie française en 2003, VGE siège avec « grand plaisir » parmi les immortels avec lesquels il partage une peur de la « disparition de la civilisation de l’écriture » devant la vitesse des progrès des nouvelles technologies.
LE MEPRIS DU TRES LITTERAIRE MITTERRAND POUR CHIRAC

“On lisait beaucoup dans la famille, et le jeune François aura à sa disposition une bibliothèque, où Barrès voisinait avec Balzac, Chateaubriand, Lamartine et d’autres moins glorieux, René Bazin en tête.”

– Michel Winock - 


L’ « enfant barrésien » (Michel Winock) qu’est François Mitterrand est attaché aux morts et à sa terre de Charente comme en témoigne l’admiration qu’il prête à des écrivains locaux comme Eugène Fromentin ou Jacques Chardonne – dont il n’a que faire du passé collabo car pour lui, le talent littéraire transcende les inclinaisons politiques. En 1978, le premier secrétaire du PS, au « tempérament de gauche et à la culture de droite » selon la formule de Régis Debray, est invité sur le plateau d’Apostrophes pour présenter son ouvrage L’Abeille et l’architecte. Bernard Pivot lui propose d’inviter trois autres auteurs. Parmi les heureux élus, le préféré de Fleur Pellerin. Une fois président, le charentais méprise les élus et les ministres qui n’ont pas son ascèse littéraire. Michel Rocard en fait les frais. Si François Mitterrand est un grand lecteur, il ne se considère pas écrivain pour autant : « je ne me pose pas en écrivain. Je m'efforce simplement de connaître et de bien écrire ma langue. Si j'avais été un écrivain, j'aurais consacré ma vie à écrire ; l'action absorbant la plus grande partie de mon énergie, c'est donc que je n'en avais pas la vocation. » (Mémoire à deux voix). L’ancienne dirigeante de France culture Laure Adler abonde dans son sens en écrivant, dans François Mitterrand, journées particulières (2015), qu’« il lui a manqué, pour asseoir sa réputation d’écrivain, une grande œuvre non politique ». Car si de Gaulle écrit ses mémoires et Pompidou son anthologie, Mitterrand est surtout salué pour ses deux livres politiques à succès que sont Le Coup d’Etat permanent (1964) et La Paille et le Grain (1975). Sa politique du prix unique du livre lui attire la bienveillance du monde littéraire et de l’édition, lui qui, d’après une enquête de l’Express à l’occasion des enchères de sa bibliothèque en octobre dernier, consacre en 1985 un quart de sa rémunération annuelle à l’achat de livres pour son pigeonnier de la rue de Bièvre.

« Parfois, pendant le Conseil des ministres, je le voyais discrètement consulter des catalogues de la librairie Les Arcades, avant de relever la tête et d'adresser un regard d'un incommensurable mépris à Jacques Chirac » confie François Léotard sur les conseils des ministres tendus de la cohabitation Mitterrand-Chirac. L’homme méprisé avant d’être adoubé en 1995 par le florentin rejoint le cabinet de Pompidou en 1962 en déclarant au baron du gaullisme Olivier Guichard, « c’était ou l’OAS ou Pompidou. J’ai choisi Pompidou mais de Gaulle je m’en fous, le gaullisme ce n’est pas ma génération ». Alors que le gaullisme attise les passions, le jeune énarque y est indifférent mais écrira ses mémoires comme le général avant lui. Non sans quelques réticences car « une vache ne revient jamais à l’abreuvoir » comme il aime le dire à son collaborateur Jean-Luc Barré. Chirac n’est pas égotiste, c’est « un homme qui ne s’aime pas » (Éric Zemmour), ses mémoires visent seulement à corriger certaines idées reçues le concernant car il n’a pas la prétention de laisser une trace dans l’histoire contrairement à son illustre prédécesseur.
"AVEC LA PRINCESSE DE CLEVES C'EST DU SERIEUX"
Son successeur aura la même (fausse ?) humilité pour parler de sa personne, confessant en 2007 : « je suis un immigré sans diplôme. J'ai besoin qu'Henri m'apporte la France de Péguy et de Michelet. ». Le candidat Nicolas Sarkozy aime se revendiquer de la « culture des gens » même si, une fois président, il se découvre une passion pour la littérature. Les rattrapages élyséens n’ont pas satisfait ses détracteurs malgré des efforts faits en compagnie de sa femme Carla Bruni : « pas une semaine ne passe sans qu’à la maison nous regardions un film, nous lisions, nous nous rendions dans une exposition. Ceux qui me connaissent savent que je me jette littéralement sur tous les catalogues de vente ou d’exposition qui me tombent sous la main ». En termes de culture générale, il restera le « Prince de Clèves », celui qui ne voyait pas « ce que la lecture de cette œuvre avait à voir avec les compétences attendues d’un fonctionnaire territorial. ». Il a beau être un fervent supporter du club le plus titré de France, il n’est pas le plus cultivé des présidents. Sans avoir été locataire de l’Elysée, Marine Le Pen vaut le détour au titre de personnalité politique de premier plan. Comme chez Sarkozy, on retrouve La Princesse de Clèves, qui fait partie de la liste de lectures concoctée par Paul-Marie Coûteaux à la cheffe du Rassemblement national, consciente de ses lacunes en culture générale. Elle n’apprécie que très peu les recommandations professorales de PMC qui lui conseille la longue L’Histoire de France de Bainville, avant de se raviser pour lui suggérer La Petite Histoire de France, « plus légère et plus rapide à lire, qu’il destinait plutôt aux enfants ». 

“A Saint-Jean-Baptiste-de-La-Salle, toutes les publications de la presse communiste sont rigoureusement interdites. François prend le risque de lire Pif le chien sous le manteau.”

– Serge Raffy - 


Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen et François Hollande ont en commun le peu d’intérêt et d’utilité accordé aux romans. L’adolescence rouennaise du socialiste est aussi bien marquée par la lecture de France football et de Pif le chien, que par les récits de ses deux grands-pères rescapés de la Grande guerre. Cela ne lui évitera pas de se faire prendre en photo par des paparazzis avec L’Histoire de France pour les nuls…. Cela aurait sans doute déçu son grand-père paternel Gustave Hollande, qui lui faisait réciter des pages entières de dictionnaire pour lui inculquer le bonheur, les joies de langues. En campagne, le candidat Hollande est peu friand des références littéraires, comme peut en témoigner sa plume Aquilino Morelle : « Il n'aime pas beaucoup l'abondance de citations, parce qu'il a tendance à penser que cela donne un côté ronflant aux discours ». Si Hollande ne lit que peu de romans pendant son séjour élyséen, c’est parce qu’il dévore la presse, lui qui a toujours cherché à comprendre ses rouages ; jusqu’à se faire piéger par des journalistes du Monde. 

“Quand on oublie de lire, on se trompe. On perd le rapport au sens, à l’intemporel.”

– Emmanuel Macron - 


Emmanuel Macron, le « président littéraire » (Éric-Emmanuel Schmitt), incarne l’éclectisme culturel des nouvelles classes supérieures. Fortement doté en capital scolaire, il reprend la tradition des présidents cultivés avec une photo présidentielle en bonne compagnie littéraire : les mémoires de de Gaulle, Le Rouge et le noir de Stendhal ou encore Les Nourritures terrestres d’André Gide. A la différence de Sarkozy, dont les références littéraires sont soufflées par « Henri », et de Hollande, réticents aux discours érudits, le candidat Macron ne lésine pas sur les citations et conseille même ses « marcheurs » sur les références à inclure dans ses discours télévangélistes. « En même temps », Emmanuel Macron est le symptôme d’une forme d’américanisation, qui avait déjà pointé le bout son nez sous Sarkozy. En employant un vocabulaire « start-up » et des références à la culture commerciale, le président représente la bourgeoise moderne issue de la mondialisation heureuse, au sein de laquelle « le cadre supérieur moderne doit apprendre l’art de la lecture rapide, le résumé, les langues étrangères orales et le tennis » (Christian Baudelot et Roger Establet, Le niveau monte). De par son éclectisme aisé, le locataire de l’Elysée symbolise la réunification des bourgeoisies de gauche et de droite, plus grossièrement celle du capital culturel et celle du capital économique. L’exemple suivant est très révélateur : Macron partage avec son premier ministre la préoccupation que la France demeure (ou redevienne) une nation de lecteurs, tout en décevant le monde de la culture en publiant son livre de campagne chez la très commerciale maison d’édition « XO» et non pas au Seuil ou chez Gallimard.   
DE L'IMPORTANCE DE LA LECTURE EN POLITIQUE
Outre le fait d’être un temps d’évasion personnelle, de ménagement réflexif, la lecture permet au politique, mais également au citoyen, de décélérer et de se déconnecter du « présentisme ». Car comme le dit si justement Marguerite Yourcenar : « le coup d’œil sur l’histoire, le recul vers une période passée ou, comme chez Racine, vers un pays éloigné, vous donnent des perspectives sur votre époque et vous permettent d’y penser plus loin et de voir plus loin les problèmes qui sont les mêmes et les problèmes qui diffèrent… ou les solutions. ». Une astuce pour penser la période trouble que nous traversons, sans pour autant tomber dans l’obsession de la recherche d’analogie historique, qui empêche de penser les particularités du temps présent.   

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