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Alors adulescent, on oublie de vieillir ? 

20.11.2018 – Par Gauthier Simon

« Yo ! Ça va les djeunes ? » ou pire « « Ça boom ? ». Sans verser dans la caricature, vous avez forcément déjà entendu ces phrases dans la bouche d’un adulte débarquant à l’improviste dans le salon alors que vous jouiez la 118e d’une haletante partie de FIFA. Evidemment il passe devant la télévision… Bref comme dix ans auparavant lorsqu’un parent traversait le salon pendant les sacro-saints dessins animés du samedi matin.

Sauf qu’aujourd’hui, il use maladroitement de formules adolescentes alors qu’hier il se contentait de passer silencieusement et consciencieusement devant vous. Eu égard à son ersatz de « parler jeune », ce spécimen n’est qu’autre qu’un « adulescent ». Dans les années 1970, le psychanalyste Tony Anatrella décrit l’ « adulescent » comme un adulte souhaitant prolonger son adolescence. Le phénomène peut être élargi aux parents voulant replonger dans la leur. 

“Mon enfant, il n'y a point de bonheur sans courage, ni de vertu sans combat. ”

Jean-Jacques Rousseau, Emile ou De l'éducation - 


Car si autrefois, on passait directement de l’enfance à l’âge adulte, les Lumières marquent un véritable changement de paradigme. Des ouvrages marquant du XVIIIe siècle comme Les Aventures de Télémaque et Emile ou De l’éducation attestent alors de l’importance prise par l’instruction et donc de l’adolescence. D’abord une préoccupation de l’aristocratie, elle devient peu à peu celle de la bourgeoisie. L’adolescence est le moment charnière de construction sociale et individuelle avant le passage dans le monde adulte. C’est dans les années 1950 que la jeunesse apparait réellement comme une catégorie sociale. Comment expliquer ce syndrome de Peter Pan ? Pourquoi les adulescents existent-ils ?

Alors que grâce aux progrès de la médecine, la durée de vie s’allonge partout dans le monde, le vieillissement semble de moins en moins bien perçu par les sociétés occidentales. D’abord porté par la génération des baby-boomers, le discours « jeunisant » est aujourd’hui dominant. L’entrée dans l’adolescence est de plus en plus précoce en raison de l’autonomie croissante accordée aux enfants, de réseaux sociaux qui explosent et qui exposent. Les parents ont moins prise sur leurs progénitures, rendant la transmission plus difficile. François de Singly utilise le terme d’ « adonaissants » lorsque les enfants n’attendent pas la traditionnelle « crise d’adolescence » pour rechercher de l’autonomie et leur propre voie. Les parents les pensent toujours à la maison alors qu’ils sont déjà « ailleurs » en train de débuter leur quête du graal « émancipation ». Pour autant, cela ne signifie pas que la sortie de l’adolescence se fait tôt. Détrompez-vous. C’est même l’exact inverse qui se produit. Comment expliquer cela ? Massification scolaire, allongement de la durée des études, recul des échéances traditionnelles de la vie d’adulte… Les causes sont diverses et multiples.

Le monde adulte instable ne pousse pas au grand saut. Les rites de passage traditionnels de la vie adulte sont sans cesse remis à plus tard. Dans Sociologie de jeunesse. L’entrée dans la vie (1991), le sociologue Olivier Galland évoque une « individualisation du passage à l’âge adulte ». C’est le cas pour des marqueurs bourgeois comme le mariage et indirectement la fondation d’une famille. Le mariage est vécu comme un engagement trop engageant et les enfants comme un engagement trop… « chiant » pour la vie de couple. Pour le psychologue américain Keith Campbell, ces changements font partie de la culture de l’« adulthood optional ». 

“Les jeunes : ce peuple d'apparition récente.”

Alain Finkielkraut, La Défaite de la pensée - 


Outres l’impact sur des étapes traditionnelles, des objets de consommation propres à la vie adulte sont également concernés par ces mutations. C’est le cas de la voiture et de la propriété, au cœur de l’influent « American way of life ». Le nouveau modèle économique a renversé la table. Ces étapes de la vie de consommateur n’échappent pas à l’ubérisation que cela soit par le biais des VTC ou bien des airbnb. Dans la « société fluide », que décrit le philosophe postmoderne Zygmunt Bauman, l’acte de consommation est le pain quotidien. La propriété d’une voiture ou d’un logement constitue un obstacle à cette logique de fluidité. Toutefois, la contrainte économique joue également sur ces choix de vie. Alors qu’en 1984 le Bureau de recensement des Etats-Unis estimait le « « coût » » hebdomadaire d’un enfant à 84$, s’occuper de sa progéniture revenait à environ 143$ par semaine en 2011. Cela ne vous aura sans doute pas échappé, le contexte économique de la génération Y n’est pas celui de la prospérité des Trente glorieuses. Si demain, en traversant la rue à la rencontre de votre Uber, quelqu’un vous parle de croissance à deux chiffres et de plein-emploi, vous le prendrez sans doute pour un illuminé et passerez votre chemin.
 
La massification scolaire et l’allongement de la durée des études ont été mentionnés plus haut. Ils ont un coût. Le marché du travail n’est plus le gentil koala « plein-emploi » des Trente glorieuses mais ressemble davantage à un affreux pigeon « chômage massif des jeunes » duquel on souhaite s’éloigner à tout prix. Vous n’avez aucune envie de le toucher, ni même de l’approcher. Par répulsion, la durée des études s’allonge notamment en raison de la peur du marché du travail, donc de la vie d’adulte. La jeunesse est la catégorie sociale la plus touchée par les effets de la crise économique que cela soit le chômage ou la précarisation de l’emploi. Le refuge dans les études longues est également le fruit de la « jeunisation » de l’institution scolaire, soit l’abolition du décalage entre l’enseignement des classiques par l’école et les goûts des adolescents. Désormais la jeunesse est enseignée aux jeunes. Quid de l’enseignement de la vieillesse ? Avons-nous tout simplement oublié de vieillir ?

“Conservons le plus possible les qualités attribuées à la jeunesse, tel est le credo de l’adulte moderne.”

Edgar Morin — 


ALORS LA RETRAITE, UNE DEFAITE ?
Le philosophe Edgar Morin oppose l’image du patriarche sage, à qui l’on demande conseil lorsque l’on est désemparé, au « p’tit vieux » inadapté au changement et incapable de composer avec les mutations technologiques.

La dernière représentation domine très largement la première. Aujourd’hui, la vieillesse et plus précisément la retraite, dans une société angoissée par le rapport de dépendance démographique négatif, est davantage vécu comme le moment du renoncement que celui du dépassement. La vie sans travail quotidien peut être une liberté : découverte de langues, de cultures et de voyages - sans nécessairement participer aux horribles croisières de masse qui mettent Venise sous l’eau. Le « grand tour » de la jeunesse aristocratique d’autrefois pourrait avoir lieu sous une autre forme après un pot de départ à la retraite bien arrosé. Comme un bilan de sa vie d’ « actif » et une opportunité d’introspection avant d’entamer une nouvelle période dense de sa vie.
"LA GUERRE DES GENERATIONS AUTA-T-ELLE LIEU ?"
Tel est le titre de l’ouvrage que cosignent le sociologue Serge Guérin et le philosophe Pierre-Henri Tavoillot. Ils ne se laissent pas emporter par la vague pessimiste et décliniste du « choc des générations » et posent un regard positif sur le lien intergénérationnel d’aujourd’hui. Ils renvoient dos à dos les difficultés d’emploi des jeunes et des seniors. La « guerre des générations » n’aura pas lieu. C’est même l’inverse qui se produit selon eux. L’aide intrafamiliale tend à augmenter, renforçant ainsi la solidarité intergénérationnelle. Des relations d’affection plus fortes se nouent. Et la fracture digitale générationnelle dans tout cela ? Même si les grands-parents persistent à signer des sms qu’ils vous envoient à un doigt, les études récentes montrent que la dite « fracture digitale » n’a pas l’amplitude qu’on lui prête. Les personnes âgées ont seulement des pratiques différentes des appareils technologiques.

Les adulescents doivent arrêter de se prendre pour Peter Pan et sortir de cet état de tâtonnement permanent qu’est devenue l’adolescence. La massification de l’adulescence a entraîné la disparition du « je », remplacé par les « jeunes » comme un tout englobant, donc réducteur. Les projecteurs, surtout ceux des grandes firmes soucieuses de séduire ces consommateurs hédonistes, sont braqués sur les « jeunes ». L’âge adulte puis le tronçon de la vieillesse en pâtissent alors qu’ils devraient être perçus comme des moments de maturité, d’affinement de la personnalité. Rassurez-vous les sociétés contemporaines ne fonctionnent plus sur le modèle des « bio-classes » (Edgar Morin) propres aux sociétés archaïques, soit le classement des individus en fonction de leur âge. Il existe une certaine continuité entre les âges. Le vieillissement n’est pas incompatible avec la conservation des traits de caractère.  

Dans Le Monde d’hier (1943), Stefan Zweig raconte que ses jeunes camarades viennois et lui avaient tendance à se laisser pousser la barbe et à provoquer leur embonpoint afin de paraître plus âgés vis-à-vis du reste de la société.

Alors sans être aussi impatients de vieillir : jeunes, « adonaissants » et « adulescents », ne craignez plus la vieillesse !

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