“Une morale m’enjoint à être juste, à être digne, à être respectueux ; une éthique réclame que je sois justement, que je sois dignement, que je sois respectueusement ce que je suis.”
Tristan Garcia, La Vie intense
Le XIXe siècle est resté dans l’histoire européenne comme le siècle de la démocratisation, des nationalismes, mais aussi et surtout de l’industrialisation. Avec la première révolution industrielle, l’homme a changé de monde. Se développe alors le capitalisme industriel qui se généralise à l’Europe, puis au monde occidental et à la quasi-entièreté du monde au XXe siècle. Naissent les grandes entreprises − dont certaines sont encore là aujourd’hui. Les habitants des campagnes se ruent à la ville afin de trouver un travail dans ces entreprises minières, de sidérurgie, les premières usines de production… l’entreprise industrielle entre véritablement dans la vie des ouvriers, des employés, des salariés et dépasse le rôle des anciennes corporations ou Compagnies de commerce. Depuis lors, l’entreprise est devenu un point central dans la vie de tout un chacun.
Mais aujourd’hui, le monde tel que nous le connaissons vit une transformation majeure avec l’avènement du numérique. Le cyberespace ou cybermonde désigne selon le dictionnaire Larousse un “espace virtuel rassemblant la communauté des internautes et les ressources d'informations numériques accessibles à travers les réseaux d'ordinateurs.” Ainsi, l’homme crée un espace virtuel : il fait évoluer la notion d’espace physique pour symboliser le lieu où gravite l’information dématérialisée.
Cette mutation a plusieurs conséquences. Tout d’abord, en transformant l’espace à trois dimensions, le cyberespace modifie notre rapport à l’espace, et donc au temps. En effet, il y a un continuum espace-temps comme l’a montré la relativité générale où ces notions s’influencent et sont interdépendantes. Dès lors, ce changement a des conséquences directes sur la notion du contrat de travail qui consiste essentiellement au versement d’un salaire à un individu qui travaille à un endroit donné, durant un temps donné.
Ensuite, dans notre monde contemporain, la séduction est devenue une norme et les individus cherchent désormais à adhérer à des valeurs, à donner sens à leur vie et leurs engagements. Ce primat de la séduction est ce que défend Gilles Lipovetsky dans son ouvrage Plaire et toucher où il nous parle de “séduction souveraine” dans le cadre d’une “société de séduction”. Désormais, les individus doivent être séduits, et cela s’applique aussi pour les employés qui sont séduits par les organisations.
Ces deux notions se cristallisent principalement dans l’abolition des frontières entre le domicile et l’entreprise, où d’une part l’entreprise entre dans la maison puisque l’on peut désormais travailler chez soi, et ce à n’importe quel moment. Bienvenue dans l’ère du télétravail. D’autre part, la maison, c’est-à-dire la vie personnelle, pénètre elle aussi de plus en plus dans l’entreprise. Les entreprises cherchent aujourd’hui à améliorer la qualité de vie au travail de leurs employés, et outre les traditionnels jus de fruits bios et baby-foot qui envahissent les start-ups, cette tendance se généralise dans les grandes entreprises avec parfois de très lourds investissements : salles de sport, crèches et conciergeries fleurissent désormais dans les organisations. Mais face à l’abolition des frontières entre entreprise et domicile, un véritable questionnement éthique s’impose. Car ces pratiques qui tendent à effacer les frontières entre les employés et leur travail, vont dans le sens inverse d’une déconnexion vis-à-vis de l’entreprise de la part du salarié, et donne toujours plus d’importance à l’entreprise dans son quotidien. Cela tend à une essentialisation des salariés à leur travail, où en fin de compte, les salariés se réduisent de plus en plus à leur travail. Aller dans le sens d’une augmentation de la porosité entre les frontières de la vie personnelle et professionnelle avec des entreprises qui se substituent de plus en plus aux besoins de la vie personnelle n’est peut-être pas l’eldorado promis. Dans le cadre de la révolution numérique, où le télétravail se généralise, cette frontière mérite peut-être justement de retrouver sa place et de s’adapter aux nouveaux enjeux contemporains.
“Le temps est notre propre vie, [...] notre propre histoire.”
– Giuseppe Rensi, La Philosophie de l'absurde -
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Si la foi déplace des montagnes, la peur, elle, rassemble les foules. Ce début de XXIème siècle voit un curieux phénomène prendre de plus en plus d’ampleur : dans une société par ailleurs critiquée pour son individualisme exacerbé, les manifestations pour sauver la planète se font de plus en plus fréquentes. Phénomène curieux car on assiste à des manifestations où les protagonistes ne se mobilisent pas pour protester contre le gouvernement car leur pouvoir d’achat diminue par exemple, ni parce que le chômage augmente et qu’ils en sont directement victimes, mais dans l’idée de sauver la planète.
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