D’après un sondage réalisé par l’Institut Reuters en 2019, seuls 24% des Français font confiance aux médias et à l’information donnée par ceux-ci. Depuis que cette enquête a été lancée en avril 2012 dans cinq pays différents (Royaume-Uni, Allemagne, France, Etats-Unis et le Danemark), il s’agit du score le plus bas jamais enregistré. Point intéressant et pourtant paradoxal : c’est BFM TV – quelle surprise ! – qui a la côte de confiance la plus basse parmis les 15 médias proposés aux sondés, mais il est tout de même intéressant de voir qu’en termes d’audiences, BFM est largement en tête des chaînes d’informations et s’est imposé comme un des premiers médias de France.
Mais internet a changé la donne. Tout le monde est désormais son propre média et grâce aux réseaux sociaux, à internet, tout un chacun peut s’informer soi-même, trouver l’information de diverses manières. Cependant, sans gardes-fous l’information sur internet peut être trompeuse. Et la vague des Fake News que nous connaissons tous aujourd’hui en témoigne. Reste que ces Fake News sont d’une efficacité terrible, elles savent excellemment bien se servir des algorithmes de mise en valeur des réseaux sociaux – médias eux-mêmes – et target une audience très précise qui ne demande qu’à croire ces informations frauduleuses. Nous vivons alors dans un paradoxe, celui d’être simultanément dans l’époque de l’information à outrance et tout à la fois du complotisme. Le gavage mène à l’étouffement.
Mais internet aura surtout changé une chose : désormais des individus – et des nouveaux modèles de média – ont davantage d’audience que des médias traditionnels. L’émergence de l’expression “média traditionnel” illustre bien cette opposition nouvelle. Dès lors, qu’est-ce qui définit un média traditionnel ? Qu’est-ce qui fait l’autorité d’un média ?
POURQUOI FAIRE DU MEDIA ECRIT AUJOURD'HUI ?
Finalement, pourquoi écrire aujourd’hui ? Cette question nous taraude et nous mêmes n’avons pas la réponse.
Nous aimons la belle prose, les figures de style, tiraillés entre en faire trop, et aller droit au but – toujours dans la recherche de la métaphore parfaite. Écrire est en fin de compte autant une affaire de fond, que de forme. Il y a un plaisir à l’écriture, à trouver les mots justes, à taper sur le clavier au fur et à mesure que les mots vous viennent, à se laisser emporter par la verve et exprimer le fond de sa pensée, à la marquer pour toujours, figée, dans le papier – aujourd’hui dans le cloud.
Cette dualité de l’écriture est insolvable. On peut faire passer la même idée en bullets points PowerPoint, ou dans un texte qui saura trouver les bonnes formules, celles qui sauront résonner en vous.
Homo Gulliver est né d’une passion commune ; pour le fond, les idées, et pour fournir un regard critique sur le monde qui nous entoure. Aberrant souvent, révoltant parfois. Un monde où il est devenu impossible de rester insensible, et de ne rien faire face à ce qui se passe. Nous ne sommes que des humains. Aussi, Homo Gulliver est né d’une passion pour la forme, trouver les mots justes, dire les choses en rimant, en métaphores. Pris entre l’étau de l’écriture pour elle-même, artistique, belle ; et l’écriture engagée, puissante, forte.
Pour aller plus loin, l’écriture, et surtout la lecture, sont aujourd’hui devenues des nécessités. Maryanne Wolf publiait en 2018 l’ouvrage non encore traduit Reader, come home. Ce livre nous expliquait comment le numérique transforme notre cerveau, en entraînant de nouvelles zones de notre cerveau, et en nous faisant passer d’un cerveau capable d’esprit critique, de raisonnement analytique, d’empathie, capable de concentration profonde, à un cortex en mesure de zapper, de scanner, d’être plus rapide, efficace en ce qui concerne le traitement de l’information. En somme, le mécanisme de plasticité cérébrale “reprogramme” notre cerveau en fonction de ce que nous faisons au XXIème siècle : scroller, zapper, scanner… Disclaimer : ceci n’est pas mal. Notre cerveau développe de nouvelles capacités formidables, mais remplace ce qui nous a permis de faire société durant des milliers d’années en quelques dizaines seulement. L’idée de Maryanne Wolf est de ne pas aller vers la substitution, mais la complémentarité. Les 2 types de développement présentent des avantages, les 2 présentent des inconvénients. Il s’agit d’entretenir et de favoriser le développement d’une complémentarité, pour ne pas perdre ce qui nous constitue, mais seulement gagner ce qui nous adapte à notre époque. Scanner, zapper, lire sur écran, oui. Mais aussi se concentrer sur de la lecture profonde, sur du papier.
Cet aparté terminé, une autre question demeure. Outre les intérêts personnels pour l’écriture, comment être lu ?
Aujourd’hui, dans notre monde caractérisé par l’abondance d’information, rien n’est pire que d’être invisible. Rien n’est pire que de passer du temps sur un contenu, imaginer l’intérêt qu’il suscite, et le voir devenir un fantôme d’internet.
Face à ça, il faut produire ! Aujourd’hui, tout est industrie, il faut faire encore, et encore, pour inonder l’industrie, et se démarquer dans la course au toujours plus. Dans notre monde devenu intense, où l’on veut aller toujours plus loin, toujours plus vite, il n’y a plus qu’à charbonner pour espérer un jour trouver son audience, et tirer son épingle du lot.
On nous dit que nous serions à l’ère de la passion economy, que finalement aujourd’hui, chacun s’exprimerait dans ce qu’il est, et se réaliserait dans l’exercice de sa “passion”. Mieux encore, il y aurait la possibilité de vivre de sa passion en étant rémunéré pour faire ce qui nous plaît.
Mais encore une fois, un regard critique sur ce phénomène nous montre qu’il ne va y avoir que quelques heureux élus qui pourront vivre de leur passion, prêts à tout sacrifier, travaillant soirs et weekends. Cette idéologie de l’eldorado – bien que séduisante – ne s’applique que pour quelques singularités, qui attirent beaucoup autour d’eux, mais qui ne représentent finalement que quelques anomalies dans la normalité.
Et puis il y a eu internet...
LE BOULEVERSEMENT INTERNET
Les gens passent des heures sur leur téléphone intelligent et leurs réseaux sociaux ? Créons des médias adaptés à ces usages.
Puis, tous entrent dans la danse...
Les grands médias en perte de vitesse décident alors de se réinventer : newsletters, vidéos sur les réseaux sociaux, refonte de leur site internet, digitalisation de l’offre… tous s’y mettent. Le New York Times, Le Monde, Médiapart… le succès est au rendez-vous. Preuve s’il en faut que le désir d’information n’avait pas disparu mais que le décalage entre l’usage et l’offre avait produit un vide informationnel.
Mais là où le bât blesse c’est que les codes d’internet sont alors repris partout. Pour sortir du lot dans une jungle de médias, d’articles, de post sur les réseaux sociaux, il faut attirer un public toujours plus grand et le soumettre à des publicités. Bienvenue dans l’ère du clickbait – le bon putaclic. Il faut des titres chocs, mystérieux pour attirer l’oeil et attiser la curiosité, tant pis si l’information donnée est grossière, exagérée ou décevante, vous êtes arrivé sur la page, le référencement fait son travail, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Écrire un bon titre d’article devient une compétence valorisable à part entière, celle d’être l’expert dans l’exploitation des biais cognitifs pour faire naître en nous le désir de cliquer pour découvrir pourquoi Cyril Hanouna a mis des nouilles dans le slip d’un de ses chroniqueurs. Le média devient un média du biais cognitif et titille notre curiosité. Le journalisme est en partie devenu du copywriting, toujours plus attirant dans sa forme. Les sites de média s’appréhendent alors comme n’importe quel site marchand, le but est d’attirer le lecteur ou client sur le site avec un post, puis de faire en sorte qu’il reste le plus longtemps sur le site en question.
Les médias s’adaptent. Car en fin de compte qu’est-ce qui compte ? Le médium ou le fait de transmettre une information, un savoir, une idée ? Dès lors, certains médias font le choix de rester 100% papier et d’autres diversifient leurs contenus, ajoutant photos, vidéos, publications sur les réseaux sociaux et tutti quanti.
Aujourd’hui la quête devient celle de l’originalité pour arriver à se démarquer et séduire un nouveau public. Il faut répondre au graal de la différenciation pour trouver son avantage concurrentiel, dans un monde où tout est business. Tout cela dans l’optique de séduire une niche de lecteurs, et d’assurer sa pérennité. Bon petit toutou.
Alors les médias deviennent des expériences qu’il faut vivre, ils créent tous des concepts qui sortent plus ou moins du lot, donnent des petits noms à leurs communautés, et on doit maintenant lire un média comme on irait à Disneyland. Tout devient alors un média en quête d’originalité : une page Facebook, un youtubeur, un nouveau magazine concept, une page Instagram, un site d’actualité...
Aujourd’hui force est de constater que si tout est média, alors rien ne l’est. Si Facebook concentre désormais tous les médias, influenceurs et joue un rôle gigantesque dans la construction du débat public, et des opinions publiques, il n’en est pas pour autant un média à part entière mais un agrégateur de contenus. Faire de la publicité sur Facebook est infiniment plus efficace que faire de la publicité dans un média traditionnel. Au premier trimestre 2019, le géant bleu a en effet encaissé 14,9 milliards de dollars de revenus publicitaires. Les utilisateurs du réseau social sont alors fichés, connus, segmentés, et ne sont exposés qu’à du contenu en phase avec leurs opinions politiques – c’est le principe de la “bulle de filtre” comme développé par Eli Pariser dans The Filter Bubble. Il est beaucoup plus efficace et pertinent de vous montrer uniquement ce qui vous intéresse, que ce soit du contenu informationnel, ou de la publicité, alors faisons cela sur quelques milliards d’individus, à grand coup d’IA et de machine learning, et encaissons les chèques. Grosso modo, voilà ce qu’il y a derrière Facebook. Elle est alors devenu une des principales source d’information, à l’heure ou segmenter les médias n’a plus vraiment de sens tant on accède désormais à des centres d’intérêts mélants vidéos courtes, reportages, articles de journalisme, articles de blog… sans plus se cantonner à une source unique d’information, mais en se cantonnant désormais à quelques centres d’intérêts.
Face à cela, quelques géants de la presse arrivent à subsister en profitant des effets d’échelle permis par internet. Certains arrivent à avoir la taille critique qu’il faut pour faire en sorte qu’internet leur serve de caisse de résonance, et internet et la mondialisation leur permettent alors de traverser les frontières de l’information. Aujourd’hui le New York Times, au prix d’un revirement majeur de son œuvre n’a jamais eu autant d’abonnés – dont une bonne partie de non-Américains. La presse quotidienne régionale autrefois forte et lue à travers la France se retrouve aujourd’hui en difficulté car qui a besoin du journal du coin quand la même information est traitée sur BFM TV, sur Le Monde, et sur tous les articles publiés par les radios etc… ?
Les médias sont omniprésents. L’information est omniprésente, mais à être partout on est nulle part. Internet est un agrégateur géant de contenus et de facto est devenu LE média. Personne ne peut plus imaginer lancer un média aujourd’hui sans mettre au cœur de sa stratégie internet, et toutes les implications que cela requiert.
Pour autant, la transmission d’idées n’en reste pas moins toujours aussi belle.
si nous pouvons nous permettre d'exister,
ce ne sera que grâce à nos lecteurs.
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