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Les vaches vivent de la même façon aujourd’hui qu’il y a 3000 ans

30.11.2018 – Par Adrien Tallent, César Lacombe

Une vache, ça naît, ça broute du gazon, ça se reproduit, et ça meurt. Et ça - bien qu’aujourd’hui les vaches soient réduites à être des kilos de viande dans des usines abominables -, ça ne change pas. Pour l’humain, c’est une autre paire de manche : l’humain s’élève, l’humain grandit, il construit des cathédrales, découvre l’Amérique - enferme les vaches aussi -, bref, l’humain ne vit pas comme une vache. Il serait foncièrement différent...

Est intimement liée à notre condition d’hommes modernes l’idée du progrès, l’homme évolue avec le temps et ses conditions changent, il souhaite d’autres choses, il vit différemment. Il serait foncièrement différent des animaux qui, régis par leur instinct sont voués à avoir la même vie, tous, et de tout temps - moyennant quelques évolutions dont Darwin nous en a fait la science mais qui s’opèrent sur une temporalité très lente. 

“Zeus occupe le trône de l’univers. Le monde est désormais ordonné. Les dieux se sont battus, certains d’entre eux ont triomphé. Tout ce qu’il y avait de mauvais dans le ciel éthéré a été chassé, soit bouclé dans le Tartare, soit expédié sur terre, chez les mortels. Et les hommes, que leur arrive-t-il, que sont-ils ?”

Jean-Pierre Vernant, L’Univers, les dieux, les hommes - 


Mais ce qui est pourtant frappant, c’est qu’en découvrant un ouvrage comme l’Univers, les dieux, les hommes - de l’historien Jean-Pierre Vernant -, qui nous propose ici un texte retraçant les mythes grecs avec la fluidité d’un récit, c’est la similitude entre les protagonistes de son ouvrage : l’Univers, les dieux, et les hommes, et notre condition contemporaine. La particularité des dieux grecs - à la différence du Dieu des grands monothéismes - est leur humanité, ils sont humains dans leur comportements, mais inhumains dans leur immortalité. Les dieux grecs sont à l’image des hommes, ils désirent, ils sont insatisfaits, tantôt heureux, colériques, ils se battent, s’aiment, procréent etc. Ainsi, ils exacerbent les passions humaines et donnent à voir les comportements humains dans leur plus pure forme. Ces mythes cherchent à raconter une histoire, en cela, ils sont fondateurs dans le sens où ils donnent à voir une certaine morale. Ils font montre d’un problème afin de poser la morale du bien. C’est bien cela qui nous intéresse. Car ces comportements que les mythes nous donnent à voir, ce sont des représentations d’il y a 2500 ans, et en réalité, ils pourraient avoir été écrits aujourd’hui. Ce sont les mêmes passions, les mêmes envies, les mêmes désirs qui traversent les hommes. Finalement, ce pourrait être une pièce contemporaine que les vieux mythes, les relations entres les hommes n’innovent pas - dans le sens où on ne découvre pas miraculeusement de nouveaux rapports dans notre manière d’être à autrui -, ce qu’on éprouve, les sentiments que l’on ressent, nos volontés, etc, il y a un constance dans tout cela. Ces rapports qu’ont les dieux grecs des mythes sont aussi ceux que l’on éprouve quotidiennement. De plus cette quête du bien dont nous venons de parler est même une constante dans l’histoire de la pensée. Kant écrivait dans la Critique de la raison pratique que chacun d’entre nous a une connaissance de la loi morale, elle s’impose à nous et elle est partagée universellement entre les hommes. 

“Deux choses remplissent le cœur d'une admiration et d'une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s'y attache et s'y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi.”

Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique - 


Ainsi, on donne à voir là finalement des constantes dans les comportements humains, la représentation de nos êtres modernes comme des individus radicalement différents de leurs aïeux semble prendre du plomb dans l’aile. Le bien traverse les âges par exemple, et les relations entre les individus de notre chère espèce se répètent. Tantôt on s’aime, tantôt on se hait. Tantôt on se reproduit, tantôt on se fait la guerre... Feu Jean-Pierre Vernant disait dans un entretien en 2003 qu’en fin de compte, la mythologie “propose une façon de se voir soi-même dans le monde”. Les vaches vivent de la même façon aujourd’hui qu’il y a 3000 ans, et peut-être que l’humain aussi finalement
NOUS SOMMES TOUS DES ANIMAUX
Contrairement à la vache qui était un animal il y a 3000 ans et qui l’est toujours aujourd’hui, les hommes se sont convaincus du fait qu’ils n’étaient plus vraiment des animaux, qu’ils avaient dépassé cette condition bestiale. Cependant, on peut désirer avoir le comportement le moins animal possible, il n’en reste pas moins que notre ADN n’a que peu évolué depuis 3 000 ans.

“L'instinct qui nous pousse à engloutir des aliments très caloriques est profondément inscrit dans nos gènes. Nous pouvons bien habiter aujourd'hui de grands immeubles équipés de réfrigérateurs pleins à craquer, notre ADN croit encore que nous sommes dans la savane.”

Yuval Noah Harrari, Sapiens - 


Tout comme une vache d'aujourd'hui est peu ou prou identique à la vache d’il y a 3 000 ans, l’homme d'aujourd'hui est peu ou prou identique à l’homme d’il y a 3 000 ans. Nous n’avons pas subi de subite mutation génétique qui fait que l’on serait radicalement différents de nos aïeux, nos croyances ont changées, notre imaginaire à évolué, mais on reste des homo sapiens sapiens. Il y a une unité dans notre espèce qui traverse finalement les âges.
NOUS SOMMES TOUS DES HOMMES
En fait, on pourrait voir notre histoire comme une grande pièce de théâtre, on jouerait inlassablement la même pièce de théâtre mais proposée par des metteurs en scène différents. Notre environnement change, mais les acteurs restent les mêmes - des femmes et des hommes. Stefanos, celui qui vivait dans la grèce antique, Stefanus, qui vivait à l’époque romaine, et son descendant Stéphane, qui vit en France contemporaine ne sont en fin de compte peut-être que les faces différentes d’une même pièce. Ils ont des modes de vie différents, n’existent pas dans la même réalité économique, n’ont pas reçus la même éducation… mais comme les dieux grecs ils désirent, ils sont insatisfaits, tantôt heureux, colériques, ils se battent, s’aiment, procréent etc. Ils vivent en société, ont des amis, des amours, un travail. Leurs loisirs sont identiques. Les Jeux Olympiques nous viennent des grecs, ce qu’on appelle “football” ou “soccer” tire ses origines des différents jeux de balle au pied de l’Antiquité grecque (aporrhaxis et phéninde à Athène et épiscyre à Sparte) et romaine (la pila paganica, la piga trigonalis, la follis, l’harpastum).

Ils ont des dirigeants, bien sûr le régime politique n’est pas le même mais la logique est identique, ni Stefanos, ni Stefanus, ni Stephane n’ont vécu et ne vivent sans des dirigeants, certes tantôt élus tantôt non mais dirigeants quand même. Et bien sûr de tout temps, les pays de nos trois compères ont fait la guerre avec leurs ennemis. De la même façon, nos trois larrons ont toujours vécus avec des autres. Ils ont vécus en cités, en empires, et en républiques, mais ils ont surtout vécus en groupe, dans des sociétés composées d’une multitude d’individus. 

Attention ! Il ne s’agit pas de proclamer là que rien ne change, de nier les évolutions et les transformations d’un point de vue sociétal. L’homme a construit des civilisations et a par là a développé des savoirs, il a créé la science moderne qui lui a permis de développer une grande partie des techniques que nous utilisons aujourd’hui par exemple. De même, les rapports entre les hommes ont évolués, il a vécu sous des dictatures, des royautés, des oligarchies, des totalitarisme, des démocraties etc. On pourrait même affirmer en proposant une vision matérialiste de l’histoire que “l'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes” pour reprendre la première phrase du Manifeste du parti communiste de Marx et Engels. Il y a eu évolution, transformation et recomposition dans l’ordre social. Oui, l’homme a changé, mais c’est son inconsistance qui nous intéresse aujourd’hui, on a cherché à s’interroger sur comment vivent les gens, ce à quoi ils aspirent, à l’échelle d’une vie, et ainsi revenir à un peu plus d’humilité dans notre condition présente, face à une foi en la nouveauté toujours plus fervente qui nous fait peut-être oublier d’où l’on vient et ce que l’on est. 

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