Depuis le 21 juillet dernier, un passe sanitaire est obligatoire pour entrer dans tout lieu recevant plus de 50 personnes i.e. les cinémas, les musées, les théâtres, les salles de concerts… Ce précieux sésame le sera d’autant plus à partir du 9 août lorsqu’il sera requis pour boire un verre en terrasse, ou dîner au restaurant. Si officiellement la vaccination n’est pas obligatoire pour l’ensemble de la population - elle l’est pour les soignants néanmoins - cette généralisation du passe la rend de plus en plus nécessaire.
L’objectif affiché de cette mesure est de garantir une plus grande liberté de la société en évitant confinement, couvre-feu et tutti quanti. Pourtant, un certain nombre de personnalités, politiques ou non, et surtout de citoyens quelque peu énervés s’insurgent contre ce passe sanitaire en dénonçant un recul historique de nos libertés individuelles et de la liberté ou non de se faire vacciner, osant – pour les plus dénués de sens moral – même comparer une obligation vaccinale à l’étoile jaune portée par les juifs pendant la seconde guerre mondiale. Si nous ne nous concentrons pas sur cette comparaison honteuse, il est intéressant de réfléchir à la notion de liberté que ces individus brandissent.
Est-ce réellement un recul de nos libertés ? Sommes-nous moins libres avec un passe sanitaire que sans passe sanitaire ?
“Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. ”
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen
Aussi, le sens de cet article fondateur de notre chère République indique clairement les conditions de la liberté, à savoir que n’est réellement liberté dans le cadre d’une société que celle qui ne nuit pas à autrui.
Qu’est-ce que la liberté ? Nous pouvons distinguer deux types de libertés, la liberté individuelle – i.e. le fait de n’être pas contraint – et la liberté collective, entendons par-là ce que permet à une société, à un collectif d’être libre. Au sens biologique, la liberté s’identifie à la bonne santé, un malade se sent en effet prisonnier de son corps.
De manière générale, la liberté est synonyme de l’absence totale de contrainte portant sur nos désirs. Je suis libre si je peux réaliser mes désirs sans entraves et comme je le souhaite. Pour autant, dire oui à tous ses désirs pourrait au contraire être la preuve que je suis esclave de mes passions. La liberté individuelle réside dans le choix conscient de faire ou de ne pas faire.
Néanmoins, nous vivons en société, en groupe. “L’homme est un animal politique” disait Aristote. Aussi, cette liberté individuelle reste un objet abstrait, ou du moins restreinte à des sujets qui ne concernent que nous.
Pour Spinoza, dans L'Éthique, la liberté ne va pas de soi. Les Hommes se croient libres car ils méconnaissent les raisons qui guident leurs actions. Pour autant, cette liberté n’est pas impossible à acquérir. Pour y accéder, l’homme doit se déterminer lui-même à agir et penser. Il doit se reposer sur sa raison pour décider ce qui est bon et utile. Dès lors, nous sommes d’autant moins soumis à nos passions que nous utilisons notre raison. De même, Kant met en avant le fait que nous sommes libres lorsque nous nous imposons une loi à partir de l’usage de notre raison sous la forme d’un impératif. La liberté est alors l’autonomisation de la liberté. Néanmoins, la liberté civile, collective, implique la perte d’une partie de cette liberté naturelle par l’existence de lois, d’interdits qui viennent donc limiter l’expression de notre liberté « égoïste » au profit de cette liberté collective.
Ainsi, la liberté au sein d’une société reste une liberté que l’on pourrait qualifier de conditionnelle. Elle est conditionnée à la liberté des autres. Aussi, un certain nombre de règles, de contraintes, de permis… nous sont imposés. Le permis de conduire, l’interdiction de la cocaïne ou les limites d'âge pour consommer de l’alcool sont par exemple autant de contraintes qui s’appliquent sur nous. En effet, de manière plus large, nous faisons face au concept de liberté collective. On pourrait croire que la liberté individuelle est la même que la liberté collective. Pourtant non. Nous le voyons bien, une société se fonde sur des règles, des normes, des lois, qui garantissent la liberté de chacun. La société permet d’exprimer sa liberté sans crainte. La liberté suppose des contraintes car elle est aussi la liberté des autres.
Le passage entre la liberté naturelle – presque sauvage – et la liberté dite “civile” se trouve dans la notion de contrat social. Dans Du contrat social ou dans Le Léviathan, Rousseau et Hobbes expliquent le passage de l’une à l’autre, en des termes différents néanmoins. Dès lors, la liberté individuelle est la liberté de réaliser tous ses désirs, sans limite. Dans cette optique, l’homme ne répond qu’à son instinct. Mais les Hommes sont, nous l’avons vu, esclaves de leurs passions. Dans cet état hypothétique, les désirs individuels se combattent farouchement, l’autorité provient de la puissance. Puis les Hommes passent un contrat qui les lient tous et leur permettent de faire société. La liberté civile devient alors la liberté délimitée par des normes, des lois. Si elle est plus réduite que la liberté naturelle, la liberté civile garantit une expression équitable des désirs dans un contexte pacifié. Le but poursuivi devient alors aussi celui du bien général et collectif.
Dire d’une loi qu’elle est liberticide est donc pleonasmique. Par définition, une loi limite des libertés pour en garantir d’autres.
D’une certaine manière les réfractaires à la vaccination, allant des antivax aux flemmards, à ceux qui attendent, tous ceux-là comptent sur les autres pour se faire vacciner et ainsi combattre l’épidémie. Or, ce mode d’action rompt avec le principe moral tel que Kant l’a énoncé.
“ Agit de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle de la nature ”
Kant, Critique de la Raison pure
Si tout le monde attend pour se faire vacciner, alors personne ne se vaccine et rien ne se résout. En agissant de la sorte, ils rompent franchement avec la notion de coopération qui doit exister dans tout groupe.
La question de la vaccination relève donc de cette liberté collective. Parler de liberté individuelle pour une épidémie n’a pas plus de sens que de dire que mon choix de prendre ou non un second café relève de notre liberté collective. Le problème d’une maladie – et notamment le.la COVID – est que je l’attrape par les autres et que je le transmets aux autres. Aussi, nous ne sommes pas chacun face à la maladie, mais tous ensemble. Or, la société dans laquelle nous vivons est issue des développements de l’idéologie libérale, mettant en avant l’émancipation de l’individu, l’individualisation de tous nos choix. Dès lors, le citoyen se perçoit de plus en plus comme individu plutôt que comme faisant partie d’un collectif plus large que nos proches. Pourtant, au niveau individuel, les répercussions du COVID sont fortes et il n’est pas certain que les fameux antivax acceptent de se voir de nouveau confinés car ils ne sont pas vaccinés. Dès lors, le vaccin est un choix de société avant d’être un choix individuel. Si vous ne vous faites pas vacciner, que vous attrapez la COVID, vous pouvez le transmettre à une personne fragile, ou remplir un lit d’hôpital et dans ce cas la société sera victime de votre supposée liberté individuelle. La société n’est donc plus libre. A cette notion s’ajoute la notion d’urgence. Que faire face à cette nouvelle explosion des cas due au variant Delta ? Attendre patiemment de convaincre les réfractaires semble être aujourd’hui trop lent. Si davantage d’individus avaient choisi de se faire vacciner, nous n’aurions pas eu besoin de faire ce choix de société.
Il est compréhensible que l’idée de se voir imposer quelque chose de la part de l’Etat quant à la conduite de nos corps puisse faire grincer des dents. Michel Foucault, dans sa réflexion autour de la société de contrôle, avait par exemple mis en avant la notion de “biopouvoir” ou de “biopolitique” – le gouvernement des Hommes, ou "conduite des conduites” – pour désigner le type de pouvoir qu’exerce l’Etat sur les corps des citoyens.
Néanmoins, aussi contraignant qu’il soit, le passe sanitaire n’est pas liberticide mais est au contraire synonyme de retour de notre liberté perdue. Il est un choix de société logique.
si nous pouvons nous permettre d'exister,
ce ne sera que grâce à nos lecteurs.
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