D’après le CSA, l’information est le genre de programmes le plus diffusé sur les chaînes de télévision. En 2019, l’offre globale d’information représentait 40 695 h, soit 1/5 du volume horaire total. Près de 80 % de cette offre est proposée par les quatre chaînes gratuites d’information (franceinfo, CNEWS, BFMTV et LCI). En 2021, plus de 150 interviews politiques se succèdent chaque semaine contre 70 en 2015.
Aux chaînes d’information s'ajoutent ensuite les réseaux sociaux : 34,7 millions d’internautes utilisent chaque jour les réseaux sociaux et les messageries, soit 1 Français sur 2. En France, comme réseau social ou messagerie utilisé pour accéder à l’information, Facebook arrive en 1ère position (43%) devant YouTube (23%), Facebook Messenger (12%), Twitter (9%), Instagram (9%) et WhatsApp (9%).
Cette surabondance d’informations d’une part et de canaux d’autre part oblige celles et ceux qui souhaitent installer une parole à se poser la question suivante : comment communiquer efficacement ?
La communication doit être une rencontre entre un message, une personne, un moment et un moyen.
Le message doit avoir de l’intérêt pour le public. D’après René Vézina, trois facteurs déterminent l’intérêt d’un message/d’une nouvelle : (1) Est-ce que la nouvelle a des conséquences concrètes sur la vie des gens ? (impact absolu) ; (2) Est-ce que la nouvelle touche un grand nombre de personnes ? (ampleur de l’impact) et (3) Est-ce que la nouvelle me touche personnellement ? (proximité de l’impact). L’intérêt du public pour un message est semblable aux cercles concentriques qui se forment autour d’un caillou qui tombe dans l'eau : plus on est « proche » de la nouvelle, plus l’intérêt est fort, plus on s'éloigne, plus l’intérêt faiblit.
Le faible traitement médiatique de la répression des Ouïghours par la Chine s’explique certes par la difficulté à obtenir des informations sur la situation locale, mais également par celle à ressentir de l’empathie – de l’intérêt – pour un message qui concerne des personnes à l’autre bout de la planète. A l’inverse, il est plus aisé de ressentir les émotions de quelqu'un d'autre si cet autre fait partie de notre communauté, qu’elle soit nationale, locale, professionnelle, religieuse, etc.
« La misère d’un enfant intéresse une mère, la misère d’un jeune homme intéresse une jeune fille, la misère d’un vieillard n’intéresse personne. »
Victor Hugo
Le message doit par ailleurs s’inscrire dans l’actualité. La parole qu’elle soit ou non politique est d’autant plus recherchée si elle répond aux questions qui circulent dans l’actualité. Toutefois, lorsqu’on “surfe” sur la vague, il faut savoir éviter les autres surfeurs. Pour ce faire, rien de mieux que d’être un “expert” (réel ou perçu comme tel) pour pouvoir éclairer le sujet d'actualité à l’aune de sa propre expertise. Combien d’« experts » a-t-on vu se succéder, se relayer, s’entendre, se contredire, sur les chaînes d’information au sujet de la Covid-19 ?
Le message doit enfin cliver. Malheureusement dans le brouhaha des évidences, la nuance n’a pas sa place. Courage à celle ou celui qui souhaite installer sa parole tout en se refusant à participer à la surenchère médiatique dans un monde où certaines chaînes d’information continue en ont fait leur marque de fabrique.
« Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants qui sachent faire à la modération sa juste place »
Albert Camus
Si le contenu du message compte, ce qui compte aussi c’est qui le dit. Pour Jacques Pilhan, conseiller en communication politique des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac, la « bonne » personne doit allier deux choses : la puissance et la proximité. La puissance d’une personne correspond à la fonction symbolique qu’elle occupe dans la société et sa proximité correspondant à son degré de compréhension des préoccupations de la vie quotidienne du public à qui elle s’adresse. Nicolas Hulot peut incarner cette « bonne » personne pour ce qui concerne l’écologie, Roselyne Bachelot pour la culture ou encore Stéphane Bern pour l’histoire et le patrimoine.
« Une grande partie du talent d'un orateur consiste à dissimuler son art et à montrer un naturel qui crée, entre celui qui écoute et lui-même, un courant de sympathie et de confiance. »
Maurice Garçon
La bonne personne doit s’exprimer de façon simple sans simplifier, savoir de quoi elle parle sans se perdre dans des détails.
« La simplicité est la pierre de touche des bonnes idées. »
Raymond Queneau
A parler tout le temps, partout et sur tous les sujets, la parole risque de se confondre avec le bruit ambiant. La parole est un bien, elle n’a de valeur que si elle est rare. A l’inverse, dans la mesure où l’on vit dans le bruit permanent des médias, il n’est pas possible de faire non plus l’apologie du silence.
S’il est impossible de trouver le bon moment par rapport aux autres pour parler, il est possible de trouver le bon moment par rapport à ses précédentes interventions. La bonne stratégie – du moins la moins pire – est d’alterner silence et intensité et de donner ainsi du relief à sa parole politique. On doit également cette stratégie à Jacques Pilhan, qui contrairement à ce qu’on peut lire, n’est pas le théoricien du silence mais celui des « ruptures de rythme ».
« En tant qu’homme public, si je parle souvent, je me confonds avec le bruit médiatique. La fréquence rapide de mes interventions diminue considérablement l’intensité du désir de m’entendre et l’attention avec laquelle je suis écouté. Si, en revanche, je me tais pendant un moment, le désir de m’entendre, va s’aiguiser. L’attention qu’on va prêter à mes paroles va être considérable. La différence entre le signal que j’émets et le bruit ambiant sera très importante. Il y aura beaucoup de reprises dans les médias, beaucoup d’impact dans l’opinion. Si, après avoir tendu le désir qu’a l’opinion de m’entendre par un silence relatif, je concentre plusieurs interventions sur une période courte, l’impact sera encore renforcé. »
Jacques Pilhan
Cependant lorsqu’il est question du « bon moment » plane le risque de la récupération politique. La récupération politique ou l’instrumentalisation politique désigne le phénomène par lequel une personne, souvent une personnalité politique, s’intéresse à un événement par pur opportunisme. Lundi 9 novembre 2021 par exemple, une dizaine de personnalités politiques ont fait le déplacement à Colombey-les-Deux-Églises pour le 51e anniversaire de la mort du fétiche des candidats à la présidentielle (le général de Gaulle).
Le triptyque « un message, une personne, et un moment » permet de donner à sa parole une chance de se frayer un chemin dans un paysage hyper médiatisé (une chance d’être entendu). Toutefois, pour avoir une transmission d’information la plus conforme possible aux résultats que l’on vise (une chance d’être écouté), il faut passer au quadriptyque : « un message, une personne, un moment, et un moyen ».
Plutôt que de répondre de manière pavlovienne aux propositions des journalistes, il faut choisir les médias en fonction de l’effet recherché. Il faut imposer son « écriture médiatique », plutôt que d’être en réaction à une demande. C’est le concept de « plan média » utilisé là encore par Jacques Pilhan, qu’il reprend à l’univers de la publicité.
« Dans la publicité, vous élaborez un plan d’investissement de votre ressource publicitaire de manière à optimiser son résultat. On peut transposer l’idée à l’écriture médiatique d’un homme public. Je suis arrivé à la conclusion que l’image d’un homme public est autant déterminée par son écriture médiatique que par le contenu de ce qu’il dit. »
Jacques Pilhan
Si le rendement et le risque des placements financiers sont inséparables, il en va de même pour les exercices médiatiques. Celles et ceux qui s’exposent dans les médias courent un risque. Toutefois, le rendement est habituellement à la mesure du risque. Un exercice médiatique totalement prévisible et contrôlé ne vous vaut qu’une attention distraite. C’est pourquoi les responsables politiques notamment s’essaient à de nouveaux exercices.
Online, les responsables politiques ont investi des canaux jusqu’alors réservés aux influenceurs et aux gameurs. Jean-Luc Mélenchon et Florian Philippot ont leur chaîne Youtube. Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, s’est essayé aux lives sur Twitch. Et outre-Atlantique Alexandra Ocasio-Cortez a joué à Among Us (jeu vidéo d'ambiance multijoueur) en live tout en parlant politique avec ses viewers.
Offline, les médias traditionnels ne sont pas en reste. L’émission Une Ambition intime présentée par Karine Le Marchand propose des portraits de personnalités politiques se focalisant non sur leurs idées politiques mais sur leur parcours. Le 7 novembre dernier, Marine Le Pen partageait ainsi sa passion pour le jardinage, Rachida Dati pour la boxe et Anne Hidalgo pour le vélo. Après tout, pourquoi parler politique avec des responsables politiques ?
Lors de son discours du 26 octobre 2006, Ségolène Royal déclarait « Le peuple s'intéresse à la politique quand la politique s'intéresse à lui. » 15 ans plus tard, il semble qu’il s’intéresse surtout aux politiques qui font les intéressants.
« La politique, c'est avant tout le ministère de la parole. »
Noël Mamère
Quoiqu’il en soit, même si on parvient à se faire entendre, il reste encore à se faire comprendre.
si nous pouvons nous permettre d'exister,
ce ne sera que grâce à nos lecteurs.
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