Au moins 1 million de personnes enfermées dans des camps, des détenu(e)s battu(e)s, violées, mis(es) en esclavage, des organes prélevés pour alimenter le marché noir… Dans l’Ouest de la Chine, au Xinjiang, région que personne ne savait mettre sur une carte il y a encore de ça quelques années, se déroule sous les yeux du monde le plus grand internement de masse du XXIe siècle, dans une certaine forme d’indifférence. Si le sujet est peu à peu apparu dans les médias, il reste très largement ignoré par une bonne partie des citoyens. Pire encore, les grandes multinationales chez qui nous consommons profitent de cette mise en esclavage, faisant de nous, consommateurs, des complices…
COMPLICITÉ
Les images satellites le prouvent, les fuites de documents internes chinois le prouvent, et pourtant peu de choses sont réellement faites par les Etats du reste du monde. Entre des milliards de dollars et d’euros, des emplois, de la croissance, des accords de libre-échange et une minorité presque inconnue perdue au fin fond de la Chine, le choix est vite fait. Si bien qu’en février 2022 se tiendront les Jeux olympiques d'hiver de Pékin comme si de rien n’était.
Alors dans toutes les grandes villes européennes se succèdent dans la rue des consommateurs avec un sac Zara, Uniqlo, Sandro ou Nike, un smartphone Apple, Samsung ou Huawei, une voiture BMW ou Volkswagen etc... Toutes ces entreprises, et bien d’autres encore, sont accusées de bénéficier de la mise en esclavage des Ouïghours.
« Si l'on était responsable que des choses dont on a conscience, les imbéciles seraient d'avance absous de toute faute. L'homme est tenu de savoir. L'homme est responsable de son ignorance. L'ignorance est une faute. »
Milan Kundera
Le problème est qu’une minorité de citoyens seulement semble être au courant de cet internement de masse. Pourtant, si l’ignorance est fertile pour les autoritarismes, elle est aussi une faute. L’ignorance empêche le développement de contre pouvoirs, d’un esprit critique sur ce que font les politiques, les gouvernements mais aussi les entreprises. Les dictatures se sont construites sur l’ignorance des peuples et les mouvements populistes d’extrême droite d’aujourd’hui se fondent sur ce même ressort : penser que les étrangers sont la raison pour laquelle les français n’ont pas de travail n’a pas de sens mais est facile à faire rentrer dans l’esprit des gens en se basant sur des preuves qui relèvent plus de la malhonnêteté intellectuelle que de la démonstration scientifique. Pour autant, avouer son ignorance ne doit pas la pardonner. Ne pas connaître le sort des Ouïghours ne peut pas pardonner le fait d’y avoir indirectement contribué. Nous ne sommes jamais sans aucun rapport avec la vérité, dès lors personne ne peut être absolument ignorant.
De la même manière aujourd’hui ce sont ces entreprises qui se fondent sur notre ignorance et qui l’entretiennent, en cachant les faits, en faisant du lobbying auprès des institutions, des dirigeants, pour qu’elles soient assurées que la majorité de leurs clients ne sachent rien de leurs agissements et qu’elles puissent continuer à engranger des bénéfices toujours plus importants. Dans le cas d’Uniqlo par exemple, cela permet à l’entreprise nippone d’ouvrir un nouveau flagship de 2 000 mètres carrés rue de Rivoli à Paris.
Ainsi, ces mêmes entreprises aujourd’hui cherchent à influencer la directive européenne sur le devoir de vigilance selon laquelle les multinationales devraient assurer une activité de production respectueuse des droits humains et de l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement.
Que dire alors des pays musulmans, tels que l’Iran, le Pakistan, l’Arabie Saoudite ou la Palestine, qui n’ont jamais semblé si proches de la Chine, pays qui pourtant met en esclavage sa minorité musulmane, et qui dans le même temps sont les premiers à boycotter les produits français quand Emmanuel Macron défend le droit de caricaturer les religions ? L’Iran a par exemple conclu un accord économique avec la Chine et tous ont signé une lettre de soutien à la politique de la Chine dans le Xinjiang (sur les 46 signataires, 17 ont l’islam pour religion majoritaire) à destination de l'ONU.
Dans le même temps pourtant, une lueur scintille. Des députés européens s'engagent et la Commission européenne cherche à responsabiliser ces entreprises. Concernant les JO, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont annoncé qu’ils boycotteront diplomatiquement les JO d'hiver de Pékin en raison du « génocide et des crimes contre l’humanité en cours dans le Xinjiang » (même si les athlètes américains s’y rendront tout de même). La France, elle, s'y rendra...
En outre, cette année Zara s’est vue refuser l’agrandissement d’un de ses magasins dans le centre de Bordeaux par une Commission départementale. Cette décision a été justifiée par l’ouverture d’une enquête contre INDITEX (maison mère de la marque espagnole) pour « recel de crime contre l’humanité ». Cette enquête a été ouverte par le parquet national antiterroriste de Paris après les plaintes de trois ONG : l’association Sherpa, le collectif Éthique sur l'étiquette, l'Institut ouïghour d'Europe.
Tout est question de courage…
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. Il faut dire que le courage est la vertu inaugurale du commencement. »
Vladimir Jankélévitch
Qu’est-ce que le courage ? C' est un geste, sans cause, sans motif. C’est une révolte d’un individu qui ne souhaite pas être soumis. Et le courage n’est pas qu’un commencement, il est aussi une fidélité à ce commencement. Pour Jankélévitch, le courage est alors une victoire sur la lenteur, sur le mouvement inerte donné. Alors le courage est la liberté. Le courage a sa propre fin. Il est sa propre cause. Être courageux c’est aller contre le mouvement des choses.
De ce point de vue, on ne peut que saluer le courage et le travail du député européen Raphaël Glucksmann. Il est le premier à avoir mis le sujet sur les devants de la scène, notamment sur les réseaux sociaux, mais aussi au niveau européen. Résultat : le sujet est devenu primordial pour les jeunes alors que beaucoup de parents sont davantage ignorants à ce sujet.
Fondamentalement pour Jankélévitch, même celui qui cherche le succès, la vanité par le courage n’en reste pas moins courageux. En outre, un acte courageux ne se suffit pas à lui-même, le courage est un souffle que l’on doit toujours rechercher. Le problème du courage est qu’il ne peut donc pas se réduire à un unique acte. Ainsi, si un pays décide de punir les entreprises qui profitent de l’internement des Ouïghours ou le régime chinois qui l’organise, il ne pourra pas s’arrêter à un unique acte. Il devra persévérer dans son courage. Voilà ce qui leur fait peur.
« Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. »
Winston Churchill
Puisque le courage n’a pas d’autre fin que lui-même, il se fiche des conséquences. Quand le Général De Gaulle fait l’appel du 18 juin, d’une certaine manière il ne s’intéresse pas aux conséquences en tant que telle, il s’intéresse plutôt aux conséquences de ne pas faire cet appel, de la soumission et des compromis que cette soumission et ce renoncement impliquent.
Prenant l’exemple de la résistance, Jankélévitch explique que l’engagement courageux ne peut pas être différé. On ne peut pas dire « je m’engagerai demain », il faut s’engager maintenant, tout de suite ou jamais. Résister par la pensée ne sert à rien, il faut agir. Je ne peux pas déléguer le courage à quelqu’un d’autre, je dois saisir l’instant immédiat, l’occasion d’être courageux.
Le courage consiste ainsi à considérer l’opinion d’autrui. Une partie du courage consiste à s’engager pour les autres. Dans le cas des Ouïghours, nous ne sommes pas - pour la plupart d’entre nous - directement touchés par cette persécution, alors soyons courageux ! Il vaudra toujours mieux d’être courageux que d’être complices.
Le courage n’est pas une vertu, c’est un acte. Le courage est donc le geste politique par excellence puisqu’il dépasse le strict calcul intéressé. Reste à savoir si nos responsables politiques font toujours de la politique.
si nous pouvons nous permettre d'exister,
ce ne sera que grâce à nos lecteurs.
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